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Mois : décembre 2023

PANDORA

À la fin de l’été 1930, deux corps sont repêchés au large du village d’Esperanza, en Espagne. Quelques mois plus tôt, la chanteuse américaine Pandora Reynolds enflammait les coeurs de tous les hommes de la région. Suite à un pari, elle se fiance avec Stephen Cameron, un pilote automobile britannique. Un soir, Pandora observe un yacht amarré dans la baie et décide de s’y rendre à la nage. Elle fait alors la rencontre de son propriétaire, Hendrick van der Zee, qui n’est autre que le Hollandais volant de la légende : un homme condamné à errer sur les océans pour l’éternité, jusqu’à ce qu’il trouve une femme prête à mourir pour lui…

Réalisateur épris de littérature européenne et de peinture surréaliste, l’Américain Albert Lewin n’a que trois films à son actif lorsqu’il tourne Pandora, relecture grandiose de la mythologie à travers les figures de Pandore et du Hollandais volant. James Mason et Ava Gardner sont les vedettes de ce conte sophistiqué et romanesque ; ils incarnent avec majesté deux êtres liés par un funeste destin.
Filmé par le maître du Technicolor Jack Cardiff (Le Narcisse noir), Pandora subjugue par sa palette de couleurs conférant à chaque scène une dimension symbolique et onirique. Ses plans sont à eux seuls de véritables tableaux, évoquant aussi bien les œuvres surréalistes de Magritte ou Dalí que la beauté atemporelle des statues antiques. Avec Pandora, Albert Lewin prouve ainsi ses talents de conteur et d’esthète du cinéma moderne.

Un chef-d’œuvre à admirer dans sa version restaurée en 4K à partir de la copie 35 mm personnelle de Martin Scorsese !

Critikat – Ariane Prunet

Flamboyante fantaisie

Après de nombreuses années passées à travailler comme scénariste, puis comme producteur pour les studios d’Hollywood, Albert Lewin se lance dans la réalisation à l’âge de 48 ans, avec The Moon of Six Pence (1942). Érudit, épris d’art et de littérature, grand collectionneur, Albert Lewin s’attachera, au long des six films qui composeront sa filmographie, à l’exploration de ses passions littéraires et artistiques, ciselant un univers singulier qui lui confère une place à part dans l’histoire du cinéma américain. Pandora est le quatrième film du réalisateur. Le scénario original, signé par Albert Lewin lui-même, procède de la conjonction du deux mythes : le mythe grec de Pandore envoyée sur terre pour venger Zeus de Prométhée et faire le malheur des hommes ; et celui du Hollandais volant, condamné à errer sur les mers, frappé d’une immortalité maudite dont seul l’amour d’une femme prête à mourir pour lui pourra le délivrer. Pour ce second versant de l’histoire, Lewin s’est largement inspiré des écrits d’Heinrich Heine et de l’interprétation que Richard Wagner a faite du mythe avec Le Vaisseau fantôme.

Au cœur des années 1930, dans un petit port de la Costa Brava nommé Esperanza. La divine chanteuse Pandora Reynolds délaisse pour quelques temps son public américain et passe des vacances en Espagne, auprès de quelques amis de circonstance, microcosme d’Anglo-Saxons en villégiature dont elle devient bientôt le pôle d’attraction. Les hommes se jettent à ses pieds, scellant du même coup leur malheur. Pandora, déesse froide et sarcastique, semble indifférente à ces élans d’un amour trop étriqué pour elle. Jusqu’au jour où elle aperçoit le bateau d’un mystérieux Hollandais… Marqué par une multiplicité d’influences esthétiques, l’univers visuel de Pandora appose à la complexité de la trame narrative une profusion de références, symboles et correspondances. Le film fut souvent, à tort, associé au genre du mélodrame. Sublimé par un technicolor époustouflant et par les images somptueuses de Jack Cardiff (le chef opérateur attitré de Michael Powell et Emeric Pressburger), Pandora serait plutôt une tragédie baroque, travaillée d’influences aussi diverses que le romantisme, l’expressionnisme et le surréalisme. Le film présente une exploration débridée de thématiques que Lewin avait déjà explorées, notamment avec Le Portrait de Dorian Gray : une fascination funeste pour la mort, pour l’ésotérisme et une certaine perversité, un rapport trouble au passage du temps, un tableau sans concession de la société décadente des années 1930.

Affleurant à chaque plan, l’étrange et le fantastique s’insinuent au cœur du réel, dans un récit qui évoque toute la littérature gothique du XIXe siècle. La mise en scène de Lewin travaille les profondeurs de champ et joue de compositions qui évoquent les peintres surréalistes (parmi lesquels Magritte, et surtout Man Ray, qui créa un échiquier pour le film et joua le temps du tournage les photographes de plateau). On songe notamment à la séquence de fête, l’une des plus virtuoses du film, où les noceurs enivrés s’adonnent à des danses endiablés, sur une plage étrangement jonchée de statues antiques. Marqué par une mise en scène d’une extrême sophistication, Pandora aurait pu rester, à l’image du personnage joué par Ava Gardner, un objet somptueux et vide de sentiments. Se signalant à chaque plan, l’artifice ne fait pourtant pas oublier les singularités d’un récit qui peu à peu laisse l’émotion investir le sublime assumé des corps et des décors, à l’image de Pandora se laissant gagner par l’amour. En cela, Lewin offre une très belle réinterprétation de la tragédie grecque, dont les personnages avancent vers une fin funeste et prédéterminée. Naissant véritablement au monde et aux sentiments avec la découverte de l’amour absolu, Pandora reconquiert d’une certaine manière son libre arbitre, et embrasse avec passion son funeste destin.

JOSEP

Février 1939. Submergé par le flot de Républicains fuyant la dictature franquiste, le gouvernement français les parque dans des camps. Deux hommes séparés par les barbelés vont se lier d’amitié. L’un est gendarme, l’autre est dessinateur. De Barcelone à New York, l’histoire vraie de Josep Bartolí, combattant antifranquiste et artiste d’exception.

Dossier de presse

« Montrer le dessin comme un cri. Un cri qui permet de vivre le monde tel qu’il est, sans être dupe de ce qui n’y tourne pas rond. Un cri poussé dans l’espoir d’améliorer les choses. Un cri universel qui, pour Josep, pour moi, passe par une feuille et un crayon. » AUREL

NOTE D’INTENTION D’AUREL

J’ai découvert le travail de Josep Bartolí de manière assez fortuite, au cours d’un salon du livre auquel j’étais invité. La couverture du livre que Georges Bartolí a consacré à son oncle Josep m’a saisi. Un croquis de républicain espagnol avachi sur ses béquilles, mi-homme mi-cadavre, d’une puissance singulière. Ce dessin ne pouvait être l’œuvre que d’un dessinateur génial. Cela me fut confirmé à chaque page : illustrations politiques riches de détails et de sens, critiques du pouvoir, de l’État, de la religion, de la lâcheté des dirigeants internationaux. Et puis les croquis des camps. La force du coup de crayon pour témoigner de cette dramatique séquence honteuse et peu connue de l’histoire du XXe siècle. Le besoin de me plonger dans cette histoire, me l’accaparer, la digérer puis la faire revivre à travers le filtre de mon crayon m’a immédiatement animé…

DU DESSIN À L’ANIMATION

Si, d’un côté, c’était évidemment mon crayon qui devait rendre hommage à Bartolí, comme dans une forme de mise en abîme du dessin, d’un autre côté, il était évident que cet hommage devait apporter quelque chose de plus. Un mouvement, un son, une musique, une respiration, un rythme. Tout ce qu’il manque au dessin. J’ai su qu’il s’agirait d’un dessin animé. Il fallait redonner vie à Bartolí de la meilleure manière qu’il soit.

DE BARTOLÍ AU DESSINATEUR

Au départ ébloui par tous les aspects de cette vie foisonnante, j’envisageais de travailler sur ce film à travers une approche très biographique : une traversée du XXe siècle de ce personnage aux mille vies… Le premier à mettre en doute cette approche fut Jean-Claude Carrière à qui j’exposais le projet. Pour lui, l’évidence était que l’intérêt de ce projet résidait dans le fait qu’un dessinateur de presse se penche sur la carrière d’un de ses aînés. Après quelques mois de travail et de réflexion – aidé notamment par Serge Lalou – je commençais à y voir plus clair : le sujet du film est le dessin. Bartolí son incarnation.

L’ART DU RACCOURCI

On demande toujours au dessin de se justifier. Pourquoi choisir ce medium plutôt qu’une photo, de la prise de vue réelle ou un simple texte ? Pour beaucoup, le dessin est une esquisse préparatoire, un croquis explicatif, un pis-aller graphique quand on n’a pas meilleure illustration. Le sujet du film étant le dessin, j’ai choisi d’affirmer la force du dessin pour raconter de manière intrinsèque tout ce qu’une image réelle ne pourrait jamais raconter. Le trait dessiné est au centre de la narration. Même les couleurs sont réduites à leur portion congrue. Le dessin est l’art du raccourci, non pas pour aller plus vite, mais pour raconter une histoire par l’entremise de quelque chose qui n’existe pas dans la nature : le trait (aucune personne, aucun objet, aucun animal n’est cerclé d’un trait noir). C’est une démarche intellectuelle complexe que de gommer les volumes qui nous entourent pour accepter de ne les représenter que par des lignes qui sont absentes de notre univers. Pourtant tout le monde comprend. Je veux dans ce film amener le spectateur à retrouver cette confiance enfantine dans le raccourci du trait pour raconter le monde dans sa complexité.

UN CRI

L’animation est le seul moyen de montrer en quoi le dessin permet de mettre en lumière un défaut, une contradiction, une injustice. De le faire sauter aux yeux du spectateur sans mots, sans délai. De montrer aussi le dessin comme un cri. Un cri qui permet de vivre le monde tel qu’il est, sans être dupe de ce qui n’y tourne pas rond. Un cri poussé dans l’espoir d’améliorer les choses ou qu’elles ne se reproduisent plus. Un cri universel qui, pour Josep, pour moi, passe par une feuille et un crayon.

LE FUSIL OU LE CRAYON

Grâce à ce film, je souhaite interroger la notion d’engagement, de résistance, de témoignage et bien entendu de déracinement. Le résistant est celui qui s’oppose physiquement à l’insupportable, quitte à le payer de sa vie. Le journaliste est celui qui observe et doit préserver sa vie pour pouvoir témoigner. Bartolí a été les deux. Il a pris le crayon quand les armes étaient devenues vaines. Mes grands-pères avaient choisi de prendre les armes quand il le fallait. Moi j’ai le crayon pour raconter ce qui pourrait aller mieux.

DESSINER POUR SURVIVRE

Pour Josep, dessiner est une nécessité. C’est photographier la réalité. C’est participer à la création de la mémoire collective pour ceux qui ne peuvent s’exprimer. C’est révéler au grand jour l’enfer quotidien des « indésirables ». Soutenu et caché par ses camarades quand il dessine, ses croquis témoignent avec rage de la triste réalité des camps de fortune. Tous les supports sont bons pour dessiner, peu importe où il se les procure. Il suffit de pouvoir les dissimuler sous le sable des camps. Progressivement, l’idée lui vient de publier ses dessins dans un livre. Il lui faut alors partir, explique-t-il en 1943 : « Je suis venu en Amérique seulement pour écrire mon livre. C’est un devoir que j’ai envers ces yeux vitreux de moribonds, qui tant de fois m’ont demandé de raconter comment ils trouvèrent la mort dans ces baraques en bois pourri, sous la cruauté des gendarmes. » En 1944, aidé de Narcís Molins Fabrega, il publie son ouvrage Campos de concentración 1939-194…, dans lequel il offre un témoignage iconographique sans précédent, notamment des ustensiles ou des jeux réalisés par les internés, des portraits de prisonniers, des scènes évocatrices, des dessins descriptifs. Les dessins principalement satiriques dénoncent les conditions de vie des exilés dans les camps. Y sont caricaturés les réfugiés comme les gendarmes. Le caractère inhumain des geôliers est souligné par les traits zoomorphes qui les caractérisent : cochons, chiens, chauves-souris,mi-homme, mi-animaux, poilus et pourvus de queue de chien se disputent la cruauté. C’est la nature humaine dans tous ses travers et sa monstruosité la plus perverse qu’il dessine. Les réfugiés eux aussi perdent peu à peu leur aspect humain, les corps deviennent de plus en plus frêles. Réalisés sur le vif, ils sont aussi une manière pour Bartolí de transmettre, de partager et de nous faire comprendre les souffrances, les dégradations physiques, l’inanition de ces exilés dont il faisait partie.

LA RETIRADA

Suite aux trois années de guerre civile espagnole (1936-1939) opposant les Nationalistes aux Républicains, Franco finit par s’emparer de l’ensemble de l’Espagne. En janvier 1939, les troupes franquistes entrent dans Barcelone, dernier territoire insoumis. Dans les jours qui suivent, plus de 450 000 personnes cherchent à trouver refuge en France, c’est la Retirada – « retraite » en français. S’y mêlent civils, militaires, officiels de la République espagnole se pressant sur les routes de Catalogne, tentant de traverser les Pyrénées à pied sous la neige.

26 JANVIER 1939 :
Prise de Barcelone. Le front de Catalogne s’écroule face à la pression des troupes de Franco appuyées par l’aviation allemande. Les premiers réfugiés se pressent vers la frontière encore ouverte entre l’Andorre et Port-Bou.

27 JANVIER 1939 :
Le gouvernement français applique son plan de barrage le long des Pyrénées et ouvre dans la nuit la frontière aux civils (femmes et enfants) et aux blessés. Les hommes valides sont refoulés. Tous sont dépouillés de leurs armes mais aussi de leurs bijoux, de leur argent liquide…

29 JANVIER 1939 :
Les civils sont majoritairement dirigés en train dans des centres d’hébergement répartis dans 70 départements. Les blessés, infirmes et malades sont pris en charge dans des structures sanitaires montées à la hâte.

30 JANVIER 1939 :
Dès la fin du mois de janvier, des camps sont mis en place par l’autorité militaire. Le ministre de l’Intérieur, Albert Sarraut, visite le camp d’Argelès-sur-Mer le 1er février 1939.

5 FÉVRIER 1939 :
La frontière est ouverte aux soldats et aux hommes valides. Ils sont dirigés en convois vers les camps situés en montagne, le long de la frontière, ainsi que sur la plage, dans un dénuement total. Josep Bartolí se trouve parmi ces hommes.

13 FÉVRIER 1939 :
Si la frontière est fermée depuis le 9 février, les franquistes contrôlent l’ensemble de la chaîne des Pyrénées. À cette date, l’exode est officiellement terminé. D’autres camps comme Bram et Le Barcarès sont en cours d’aménagement.

MARS 1939 :
Plus de 222 000 réfugiés sont toujours internés dans les camps des Pyrénées-Orientales. Les premiers transferts s’opèrent vers les camps d’Agde, du Vernet, de Collioure et de Septfonds.

AVRIL 1939 :
L’ouverture d’un second réseau de camps comme Gurs et Agde permet de vider progressivement les camps des Pyrénées-Orientales. Les hommes sont alors mis au travail via la Compagnie des Travailleurs Étrangers. Les principaux camps de la Retirada (Agde, Argelès-sur-Mer, Bram, Le Barcarès, Saint-Cyprien, Gurs,Vernet, Septfonds et Rieucros) fonctionneront jusqu’à la défaite de juin 1940 et seront repris par le gouvernement de Vichy, qui réorganise ce réseau en le renforçant avec la création de nouveaux camps comme celui de Rivesaltes au début de l’année 1941.