JEUDI 27 AVRIL 2017 à 20 h ▶ La Supplication, de Pol Cruchten
La Supplication
de Pol Cruchten
France – 2016 – 1h 26′
Ce film ne parle pas de Tchernobyl, mais du monde de Tchernobyl dont nous ne connaissons presque rien. Des témoignages subsistent : des scientifiques, des enseignants, des journalistes, des couples, des enfants… Ils évoquent ce que fut leur quotidien, et puis la catastrophe. Leurs voix forment une longue supplication, terrible mais nécessaire, qui dépasse les frontières et nous amène à nous interroger sur notre condition.
D’après le livre de Svetlana Alexievitch, prix Nobel de littérature 2015
Extrait de l’entretien avec Pol Cruchten
Quel a été le point de départ du film ?
Il y a quelques années, je suis tombé sur une émission qu’animait Michel Field à la télévision. Il évoquait ce livre d’une certaine Svetlana Alexievitch à propos de Tchernobyl, La Supplication, et le décrivait comme l’un des plus grands événements littéraires de la fin du XXe siècle. Le lendemain, je suis allé l’acheter en librairie et l’ai lu d’une seule traite. Il m’a complètement enthousiasmé, fasciné, transporté ! J’étais en immersion totale, sur les lieux, là-bas à Tchernobyl, parmi les survivants. Ce livre était, de toute évidence, l’un des plus forts que je n’avais jamais lu.
J’ai alors pensé l’adapter pour le cinéma, mais à vrai dire, je ne savais pas comment. Dix ans plus tard, j’ai tourné un documentaire qui s’appelle Never Die Young sur les problèmes d’un drogué, où tout était narré en voix off, sans dialogue. Je me suis dit que cette esthétique pouvait s’adapter au livre de Svetlana. Nous avons donc contacté l’agent, acheté les droits, puis j’ai commencé à travailler sur le scénario.
Comment avez-vous procédé pour adapter ce livre ?
Il était absolument primordial de respecter la prose de Svetlana. L’adaptation reposait sur un travail de sélection. J’ai tout simplement marqué les séquences qui me semblaient indispensables. Toutefois, le livre est si condensé qu’il était difficile d’extraire des passages et d’en sacrifier d’autres. De fait, ce travail de sélection était une trahison en soi.
Une fois ces passages sélectionnés, j’ai tout retranscrit à la main afin de trouver le rythme du film. J’ai toujours pensé que c’était un travail impossible à faire sur un clavier d’ordinateur…
La prose de Svetlana Alexievitch est en effet au cœur du film…
Beaucoup pensent qu’au cinéma l’image est plus importante que la parole. Or je crois qu’ici, c’est l’inverse qui se produit. Avec le recul, je pense avoir fait le film pour une seule personne au monde : pour Svetlana. Et sans doute aussi égoïstement pour moi!
La forme du film est pour le moins inclassable. Le résultat est-il conforme à ce que vous imaginiez lors de l’écriture ?
Lorsque vous écrivez, c’est toujours difficile d’imaginer ce que sera le résultat final. Mais à vrai dire, oui, le film est plutôt conforme à l’idée que je m’en faisais. Lors de la préparation, j’ai revu les films de Tarkovsky afin de saisir l’âme russe, mais je n’ai pas voulu pousser la référence plus loin.
Quelles difficultés avez-vous rencontré durant le tournage ?
C’est moins compliqué que ce qu’on peut imaginer. Certes, il faut payer un droit d’entrée, mais une fois qu’on est sur le site, il n’y a plus vraiment de souci.
J’y suis d’abord allé avec le producteur exécutif, puis j’y suis retourné avec le directeur de la photographie quelques mois plus tard pour des repérages. Et enfin, la troisième fois que j’y suis allé, c’était pour le tournage.
Non, la difficulté était plutôt du côté de Kiev, à ce moment-là. La révolution ukrainienne venait d’avoir lieu et à quelques kilomètres de là où nous étions, la tension était palpable. D’ailleurs, à cause de cela, nous avons dû interrompre le tournage pour le reprendre quelques mois plus tard.
Vous en parlez comme s’il s’agissait d’un lieu de tournage plutôt habituel…
Non, c’est un lieu inhabituel. D’ailleurs, les paysages sont forts, là-bas. Il fallait presque arracher chaque prise de vue à son contexte afin d’en tirer quelque chose. C’était très dur de trouver un équilibre, une justesse.
Néanmoins, je n’ai jamais perçu le territoire de Tchernobyl comme un espace surnaturel ou divin. Je pense qu’il n’y a aucune croyance possible sur ce territoire. Ces lieux sont plus réels que jamais, il fallait les filmer tels quels, sans artifice.
Pour vous donner un exemple : lors du tournage, nous avions fait un long plan séquence d’un Christ sur sa croix. Au montage, je me suis immédiatement dit que c’était hors sujet. C’est un film que j’ai voulu radical, avec une approche très concrète. J’ai voulu me tenir à l’écart de tout effet pseudo-poétique.
Les projections en entrée libre – dans la limite des places disponibles – se déroulent à Paris, dans le 2e arrondissement, près de la rue Montorgueil :
Salle Jean Dame, Centre sportif Jean Dame17 rue Léopold BellanMetro : Sentier (L3) ou Les Halles