JEUDI 23 FEVRIER 2023 à 19 h 30 : Memory box, de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige
Memory box
de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige
France/Liban/Canada/Qatar – 2021 – 1 h 42’
Avec Rim Turki, Manal Issa, Paloma Vauthier
Montréal, le jour de Noël, Maia et sa fille, Alex, reçoivent un mystérieux colis en provenance de Beyrouth. Ce sont des cahiers, des cassettes et des photographies, toute une correspondance, que Maia, de 13 à 18 ans, a envoyé de Beyrouth à sa meilleure amie partie à Paris pour fuir la guerre civile. Maia refuse d’affronter ce passé mais Alex s’y plonge en cachette. Elle y découvre entre fantasme et réalité, l’adolescence tumultueuse et passionnée de sa mère dans les années 80 et des secrets bien gardés.
Dossier de presse
Entretien avec les réalisateurs
LA GENÈSE DU FILM
– Memory box semble né de votre propre « boîte à mémoire ». Qu’en est-il exactement ?
Joana Hadjithomas : L’origine de ce film, ce sont des cahiers et des cassettes adressés à une très proche amie partie vivre en France durant la guerre civile libanaise. Séparées, on s’était juré de s’écrire et de 1982 à 1988, de 13 à 18 ans, on s’est effectivement écrit tous les jours, enregistré des cassettes, envoyé des photos. Pendant 6 ans, je lui ai raconté ma vie, chaque instant de mon adolescence dans les moindres détails et la guerre civile qui faisait rage autour de moi. Depuis Paris, elle a fait la même chose. Chaque mois, on s’envoyait des paquets, avec des cahiers, des cassettes. Puis on s’est perdues de vue. Un jour, vingt-cinq ans plus tard, on s’est retrouvées. Elle, comme moi, avions tout, mais absolument tout gardé ! On a alors échangé notre correspondance mutuelle. Avoir toute cette archive à ma portée, replonger dans ces écrits, ces souvenirs d’adolescence et de guerre, retrouver sur les cassettes une voix enfantine, la mienne, que je ne reconnaissais pas, a été une émotion très forte surtout que notre propre fille Alya venait tout juste de fêter ses 13 ans.
Khalil Joreige : Alya avait très envie de les lire ! On s’est posé la question de savoir si on pouvait livrer ainsi notre adolescence à notre fille, au même âge, ce que cela voulait dire de partager ces souvenirs, notre jeunesse. Quels effets d’échos cela allait-il provoquer ?
– Ce récit s’appuie sur ces cahiers, cette correspondance écrite et ces cassettes,mais vos archives contenaient-elles aussi toutes les photos que l’on peut voir,dans le film ?
KJ : On a voulu rajouter une dimension visuelle basée sur des photographies que j’avais faites durant mon adolescence à Beyrouth dans ces mêmes années. Chacun d’entre nous deux s’était exprimé dans son médium de l’époque, à travers sa passion. On a conjugué nos deux archives, nos histoires. Dans le film, on voit que ces archives sont à la fois réelles et refabriquées, mélangeant traces documentaires et recréation fictionnelle.
JH : Ce film est une fiction basée sur des écrits et des archives sonores, visuelles, parfois des documents comme des journaux qu’on utilise dans le film, mais pour servir l’histoire. On ne voulait pas faire un film documentaire sur mon adolescence, mais user de cette archive qui était une matière formidable.
KJ : Elle nous ouvrait plein de possibilités artistiques. On a écrit ce film avec Gaëlle Macé et tous les trois, nous avons tout de suite voulu déplacer ces archives vers une fiction. Cela nous permettait de nous distancier par rapport à ce matériau et de nous sentir beaucoup plus libres.
JH – On voit dans le film mes vrais cahiers et les vraies photos de Khalil, mais on y a aussi mêlé d’autres écrits, d’autres photos pour servir l’histoire du film.Par exemple, les graphiques d’humeur du jour, ce sont vraiment les miens, mais ils deviennent ceux de Maia, notre personnage fictif. Les photos de Khalil dessinent une cartographie de l’histoire d’amour entre les personnages.
– Vous animez vos photos, et vous y intégrez vos personnages fictifs. C’était important que le passage de la réalité à la fiction passe par la matière même de vos images ?
KJ : Cela brouille un peu les pistes et les frontières : qu’est-ce qui est vrai ? qu’est-ce qui est fictionnel ? D’une certaine façon, revisiter les images prises durant nos adolescences nous rapproche aussi du réel du film, nous aide à être au plus près des années 80. On puise dans cette source originelle que nous avons la chance d’avoir. Ces photos, donnent à la jeune Alex, coincée au Canada durant une tempête de neige, une matière à son imagination et aux projections qu’elle se fait des histoires contenues dans les cahiers de sa mère pour recréer et reconstituer ces moments, un pays, une époque qu’elle ne connaît pas. L’histoire d’une personne bloquée dans une chambre qui va s’imaginer et fantasmer les choses est pour nous une métaphore du cinéma. C’est l’évocation, le hors champs, la trace, l’absence propre même au cinéma.
LE RAPPORT AUX IMAGES
– Dans le film circulent les époques, les générations mais aussi les technologies, le passage du temps s’éprouvant autant dans le récit, dans ce que vivent les personnages d’une époque à l’autre, que dans la matière même du film ou de la photographie. Parlez nous du rapport aux images.
JH : Les photos sont primordiales dans le film, elles constituent presque un film dans le film. On avait envie aussi de montrer, au cinéma, une histoire de la photographie argentique, que cette matière photographique soit retravaillée à partir des planches-contact, de polaroïd, de super 8, de films latents de cette époque et aussi des choses qu’on a tournées ou photographiées mais jamais diffusées.
KJ : On n’est pas du tout nostalgiques de cette époque mais on voulait voir comment cette matérialité des images, qui avait fonctionné pour nous, fonctionnerait différemment aujourd’hui pour la génération de notre fille, et pour le personnage d’Alex. Sans être moralisateurs envers Internet ou les réseaux sociaux, il nous parait intéressant de comparer les époques. Je possède environ 60 000 négatifs en vingt-cinq ans de pratique de photographe. Notre fille a fait en 6 mois 50 000 photos avec son téléphone ! Ce ne sont pas le même genre de photos à l’évidence, mais ça constitue aussi un journal. Ce rapport aux images à travers le temps change par exemple le rapport entre public et privé, entre le corps social et le corps intime.
JH – Relire mes cahiers nous a permis de comprendre le rapport que notre fille entretient avec son smartphone. Ado, je racontais aussi ma vie dans les plus infimes détails de la même manière. Le film met en scène le statut des images et des documents. Les cahiers, cassettes, photographies de Maia faits de secrets, de non-dits mais aussi les inexactitudes de la mémoire confronte le rapport technologique d’Alex aux réseaux sociaux, à Facebook, WhatsApp, avec la saturation des informations, de la communication et du partage, l’immédiateté et la virtualité. La surabondance des images et des informations aujourd’hui font qu’un tel flux ne peut être traité et équivaut étrangement à l’oubli. Les galeries d’images de nos smartphones évoquent des divisions d’écrans et des split screens qu’on explore dans le film et qui sont essentiel au développement de l’imaginaire d’Alex. Elle finit par suivre l’histoire de sa mère, de cahiers en cassettes comme une série, une saga dont elle devient totalement accro. Elle se plonge tellement dans le passé de sa mère qu’elle ne vit plus son présent et petit à petit, déconnecte avec ses amis. Elle se perd dans diverses temporalités. – – Ce jeu libre avec les régimes d’images et de sons est-il le cœur de tout votre travail, y compris dans ce film qui semble tout récapituler ?
JH : Nous n’aimons ni frontières ni définitions. On aspire à une grande liberté, la possibilité de pouvoir se mouvoir en faisant des films de cinéma, des documentaires, des vidéos d’art, des installations photographiques, des performances, des sculptures… Cela dépend vraiment de notre intérêt, notre inspiration, notre recherche… Dans Memory box, on a cherché à transformer nos recherches artistiques et formelles en quelque chose de cinématographique et d’accessible, quelque chose de jouissif pour le spectateur.
KJ : Ce film incarne la liberté mais aussi une certaine idée de l’artisanat. On ne voulait pas que le film ait une esthétique « effets spéciaux ». On aime le côté artiste, chercheur. Et on souhaitait que cette recherche visuelle ouvre des perspectives émotionnelles fortes. La photo argentique, la planche contact alimente l’imaginaire d’Alex, et l’aide à reconstituer et imaginer de façon fantaisiste, inventive, le Liban, les années 80, le quotidien de la guerre ou l’histoire d’amour passionnée de Maia et Raja. On a découpé des photographies, brûlé certains photogrammes, travaillé le hors champs qui devient celui de la mémoire comme dans la scène où Alex imagine à partir d’une photo, une scène dont elle ne connaît qu’une partie du décor alors la suite devient noire puisqu’elle n’a plus de référent. Ce noir, on l’a vraiment fabriqué en tapissant la rue où l’on tournait de tissu noir…
– Vous parlez d’un travail artisanal. En effet, au regard de la richesse des documents dans le film, le travail de préparation a dû être très long ? Vous avez dû refaire des photos, refaire des cahiers, on imagine un travail de collages, de découpages ?
JH : Nous avions comme base les cahiers et les cassettes que j’avais envoyés à mon amie, mais nous avons également fabriqué avec l’aide des équipes la majorité des cahiers que l’on voit dans le film. Nous avons fait plus de 10 000 photos avec les acteurs à différents moments de leur vie, en travaillant le passage du temps et le changement de looks : New wave, punk ou disco, ces années là avaient des esthétiques très marquées. On a utilisé des formats très différents : 8 mm, des films périmés des années 80, des archives papiers, des images tournées avec nos petits téléphones etc…C’était titanesque mais aussi extrêmement amusant et ludique et parfois mélancolique, cette plongée dans la jeunesse.
– Certaines séquences font directement référence à vos œuvres artistiques. Pouvez-vous commenter par exemple cette image forte du film : les photos que Maia prend de son père sur son lit de mort, photos surexposées qui effacent presque la trace qu ‘elle veut saisir.
KJ : Ces images font référence à l’histoire du médium photographique. Les premières photos étaient parfois surexposées et c’était souvent des photos de morts. En même temps, ces photos rendent quelque chose aux morts, elles aident à faire le deuil. Les photos prises 30 ans plus tôt ont été oubliées par Maia dans son appareil photo. Elles sont latentes et attendent d’être révélées.
JH : Pendant dix ans, de 1997 à 2006, nous avons fait tous les deux des photos que nous n’avons pas développées, qui sont restées latentes, une façon de soustraire nos images au permanent flux des représentations. Puis, en 2006, on a eu besoin de ramener l’image au coeur de notre pratique – la présence de l’image plutôt que son absence. Dans le film, on s’est aussi inspirés d’un film latent trouvé chez l’oncle maternel de Khalil qui a disparu durant la guerre. Ce film avait été tourné vingt-cinq ans avant et au moment du développement, il est sorti pratiquement tout blanc. Mais certaines images étaient toujours là, c’était comme si l’image ne parvenait pas à disparaître, comme si elle hantait la pellicule, comme une image rémanente. Dans Memory Box, le secret familial voile la mémoire de Maia. Les photos retrouvées de son père vont aider à ramener les traces du passé.
L’HISTOIRE, LA TRACE ET LA MÉMOIRE
– Votre film, vos cahiers et cassettes, ne sont-ils pas des blocs solides de mémoire, une forme de résistance à la fragilité de la mémoire et à l’amnésie, que celle-ci soit volontaire ou inconsciente ?
KJ : C’est une interprétation possible. On n’essaye pas de faire un travail d’historien, mais on réfléchit à ce qu’est l’histoire. C’est en l’absence d’histoire commune que la mémoire devient importante.
JH : L’histoire de la guerre civile libanaise n’existe pas dans les livres d’histoire, n’a pas pu être transmise. Des historiens, des artistes, des écrivains essayent d’en reporter des fragments, certains films ou documents sont là pour attester un peu de ce qui a eu lieu. Il y a donc des traces, mais elles sont fragiles, elles se transforment, disparaissent, comme les bâtiments qui ont été détruits par la guerre ou par la rénovation immobilière. Nous n’avons pas fait d’études de cinéma ou d’art, et notre impulsion à faire des films ou des œuvres d’art vient de notre obsession des traces et des questions que cela pose. Qu’est-ce qu’on fait de ces traces ? Et si on ne garde aucune trace du passé, est-ce possible de vivre notre présent ? Memory box pose directement cette question.
– La mémoire traitée dans le film n’est pas seulement intime et familiale, mais aussi collective, historique.
KJ : Une des questions que nous nous posons tous, quel que soit notre vécu, est cette relation à la mémoire, au passé, à l’histoire et à sa possible transmission. Qu’est-ce qui demeure, qu’est-ce qui devrait demeurer ? Mais aussi comment réfléchir, à partir d’une histoire personnelle, le rapport à l’Histoire plus collective ? Notre travail d’artistes et de cinéastes interroge depuis des années la représentation de la violence, l’écriture de l’Histoire ainsi que les constructions d’imaginaire.
JH : Ce qui nous a fascinés en lisant mes cahiers, c’est qu’on ne comprend pas vraiment les évènements mais on suit le quotidien, ce qu’on vit, ce qu’on mange, ce qu’on fait dans l’abri, nos sensations, nos débats politiques. Tout est vécu et raconté dans les moindres détails. Et ces détails font totalement partie de la mémoire collective.
KJ : Pour Maia jeune, la guerre n’est pas une situation exceptionnelle, c’est son quotidien. Les cahiers de Joana sont très indicatifs de cela. Maia veut vivre avant tout. On envisage souvent les guerres civiles sous l’aspect du trauma, ce n’est pas ce que nous montrons dans notre travail. Dans la correspondance de Joana, ce qui apparaît surtout c’est le désir de vivre, d’aimer, de s’amuser, la liberté et la pulsion de vie quoiqu’il arrive.
JH : La mémoire passe aussi par la sensualité, par certains gestes, par la texture même du film. C’était très important de rendre visible, sensible l’immatérialité de la mémoire. Cette mémoire invoque l’esthétique, les références, la musique, mais aussi parfois par de tous petits détails, comme le son du rewind de la cassette. Ce son est un embrayeur de mémoire pour nous mais devient iconique peut-être aussi pour une génération qui n’a pas forcément connu les cassettes. Si notre film parle à la génération de notre fille, ce serait aussi une forme de transmission.
LA TRANSMISSION SEMBLE AU CENTRE DU RÉCIT
KJ : Notre film met en scène trois générations de femmes : Téta, la grand-mère, bloque volontairement la mémoire de leur histoire familiale craignant que le secret familial ne ressurgisse. Ce secret qui lui a fait fuir le pays qu’elle aime et dont elle parle la langue. Une langue que sa fille Maia, cherchant à tout prix à s’intégrer, ne parle plus et qu’elle n’a pas transmise à Alex, qui va essayer de remonter ce temps et ces évènements cachés, latents. Les deux femmes ont essayé d’oublier en venant vivre au Canada, elles ont volontairement laissé le passé douloureux derrière elles. Mais ce passé revient les hanter avec l’arrivée des cahiers de Maia à la mort de son amie Liza.
JH : Nous voulions explorer diverses façons de raconter cette histoire ainsi que plusieurs temporalités : celle contemporaine des personnages, celle que va imaginer et reconstituer Alex en lisant la vie de sa mère, enfin celle du Flashback raconté en voix off par Maia quand elle prend le relais du récit. Dans nos films précédents, on s’intéressait surtout au présent,à rendre compte d’états, de situations. Là, on voulait s’atteler à la narration, même si elle s’avère complexe, lacunaire avec ces trous de mémoire, ces réécritures.
LA TRANSMISSION ET L’EXIL…
KJ : Le film est aussi l’ histoire d’un exil dans un pays d’adoption qui est lointain, le Canada, et le retour au pays, initié comme souvent par une génération plus jeune qui a envie de savoir. C’est aussi l’exil de soi-même : Alex essaye de comprendre comment sa mère a tant changé, où sont passés sa passion pour la photographie, l’amitié intense, l’amour fou… C’est pour nous, une façon de questionner et de préserver cette intensité.
JH : Maia est comme coupée de sa jeunesse avant que cette « memory box » ne se rouvre et que tous les fantômes ne reviennent la hanter. La relation entre Maia et Alex ne parvient pas à s’établir tant qu’il n’y a pas cette continuité et cette possible transmission entre passé et présent. En lisant les cahiers, Alex désobéit à Maia, mais c’est une désobéissance féconde. Alex ramène des images du passé et la possibilité de se souvenir malgré les fantasmes, l’imaginaire et la réécriture de l’histoire de chacun. Le passé échappe, se dérobe… malgré tout, l’imaginaire demeure plus fort et c’est peut-être cela ce qui importe le plus, c’est cette imaginaire qui revient nous hanter tels des oasis dans le désert, comme l’écrivait Hannah Arendt.
BEYROUTH AUJOURD’HUI FACE À LA FIN DU FILM
– Justement comment ne pas évoquer le présent et la catastrophe économique qui s’abat sur le Liban mais aussi le fait que le film a été tourné avant l’explosion du 4 août. N’y voyez-vous pas un cycle terrible, celui d’un éternel recommencement ?
KJ : Peut-être pas un recommencement puisque les situations évoluent quand même mais oui, il y a un écho terrible aux années 80 qui sont le cœur de ce film. C’est un pays qui s’enfonce à nouveau dans le cauchemar.
JH : Nous avons fini de tourner le film en mai 2019 et commencé à monter en pleine révolution, à l’automne de la même année. Une révolution contre les dirigeants corrompus et criminels et contre le système bancaire qui a pris en otage les Libanais. Bien-sûr, cela résonne de façon tragique, comme un miroir terrifiant, avec de nombreuses pages de mes cahiers qui sont cités dans le film, et qui font écho à la violence de la guerre, la dévaluation actuelle de la livre, l’insécurité, le désespoir et l’effondrement total des systèmes au Liban, la tentation, voire parfois l’obligation terrible de l’exil. Jusqu’à l’explosion tragique du 4 août, la troisième plus grosse explosion après Hiroshima et Nagasaki, qui a détruit un tiers de la ville et une partie de nos vies.
– Et pourtant vous avez choisi de garder une fin plutôt positive avec ce retour au Liban ?
KJ : C’est étrange d’entendre que la fin semble positive, quand on sait que le pays, le décor même où la fin a été tournée, tout a explosé après la fin du tournage au sens figuré, mais aussi au sens réel. Cette fin du film apparaît depuis comme un songe, une sorte de (science)fiction fantastique, le rêve d’un retour à la communauté, à un pays qui s’est reconstruit pour être aujourd’hui détruit une fois encore. Et à nouveau, comme dans le film, l’exil est au centre de nos vies. La dernière partie du film raconte aussi le fantasme d’un retour à l’heure où une majorité de personnes de toutes générations quitte le pays.
JH : Maia ne retrouve ni sa maison, ni les sépultures de son frère et de son père, ni le Beyrouth qu’elle a connu. Mais dans un petit pays, certaines retrouvailles sont possibles, comme celle avec ses amis d’antan, avec son grand amour Raja, ses liens se renouent malgré la jeunesse perdue… Maia retrouve des visages aimés, une énergie, juste le temps d’une soirée, une seule… Comme une parenthèse…
KJ : C’est politique et vital d’être capable de ne pas finir un film de la région de manière dramatique même si la violence tragique et le chaos finissent par nous rattraper.
JH : Dans notre profond désarroi, nous ne pouvons nous permettre le désespoir absolu, nous avons tant besoin de lumière. There will be light, promet la chanson à la fin du film…
– La fin du film, avec ce soleil qui monte et descend en accéléré, est-elle aussi une métaphore de l’histoire de cette famille et de la vie en général, de ses aléas, de sa fragilité, de ses aubes et crépuscules, de ses cycles ? Que dit-elle aussi de la situation terrible que traverse le pays ?
KJ : Avec le confinement, on ressent tous encore plus fortement notre appartenance à un cycle. L’incidence de nos vies prises dans un mouvement beaucoup plus large est figurée dans cette fin du film avec cette idée de soleil et de recommencement, de moments lumineux alternant avec des moments plus obscurs…
JH : Nous avons beaucoup travaillé autour de l’archéologie et de la géologie et autour du vertige du temps qui semble infini quand on aborde les choses sous cet angle. Mais il y a quelque chose de permanent, d’immuable, comme un cycle, après chaque catastrophe, il y a une régénération, après chaque désastre, peut-être peut-on espérer un renouveau.
Dans Memory box, la musique joue également un rôle important dans la réminiscence…JH – Les années 80 sont centrales dans le film et la musique rythme ces années-là, elle est fidèle à ce qu’on écoutait à l’époque. Elle charrie l’esthétique de l’époque, la jeunesse et aussi une sorte d’insouciance et actionne aussi les visions d’Alex : Elle l’aide à se projeter dans le passé de sa mère. On voulait aussi des musiques qui rendent compte de la créativité des années 80. La chanson de Blondie, One way or another, lie un groupe de copains, elle les fait danser, partager, oublier leur réalité quotidienne de la guerre… Ils la rejouent lors de leurs retrouvailles trente ans après, et on mesure aussi leur jeunesse passée.KJ – On est structuré par les musiques qu’on a écouté adolescent, elles nous ont constitués. La musique est un trait d’union générationnel, il n’y a rien de plus émouvant que d’entendre son enfant écouter une musique qu’on a adorée. C’est une forme de transmission, ça fonctionne ainsi entre Maia et Alex, et c’est aussi ce qui va refondre ensemble le groupe d’amis après trente années de séparation.
Les projections en entrée libre – dans la limite des places disponibles – se déroulent à Paris, dans le 2e arrondissement, près de la rue Montorgueil :
Salle Jean Dame, Centre sportif Jean Dame17 rue Léopold BellanMetro : Sentier (L3) ou Les Halles