JEUDI 23 MARS 2023 à 19 h 30 : La Traversée, de Florence Miailhe
La Traversée
de Florence Miailhe
France – 2021 – 1h 24’
Un village pillé, une famille en fuite et deux enfants perdus sur les routes de l’exil…
Kyona et Adriel tentent d’échapper à ceux qui les traquent pour rejoindre un pays au régime plus clément. Au cours d’un voyage initiatique qui les mènera de l’enfance à l’adolescence, ils traverseront de multiples épreuves, à la fois fantastiques et bien réelles pour atteindre leur destination.
Dossier de presse
Le temps indéfini de la légende
Note d’intention de Florence Miailhe
Le propos de La Traversée est né de la rencontre entre deux émotions : la mémoire familiale – mes arrière-grands-parents fuyant Odessa au début du XXe siècle, ma mère et son jeune frère sur les routes de France gagnant la zone libre en 1940 – et la spectaculaire augmentation des déplacements humains au cours des dernières décennies. J’ai vu se refléter dans le parcours des familles kurdes, syriennes, soudanaises, afghanes, celui de ma propre famille juive. Des gens poussés par la guerre, la faim, les persécutions, cherchant une meilleure terre où reconstruire leur existence et prêts pour cela à affronter tous les périls. Si le film s’ancre dans les réalités migratoires contemporaines, le sujet est traité de façon intemporelle – afin de montrer la permanence de l’histoire des migrations – en s’inspirant de la narration des mythes et des contes. La décision de suivre deux héros au sortir de l’enfance a été prise avec ma co-scénariste, la romancière Marie Desplechin, dont les livres s’adressent en priorité à la jeunesse. Nous avons abordé le récit dans cette optique : nos deux héros, sœur et frère, Kyona et Adriel, portent aussi bien la figure de Hansel et Gretel que celle de deux jeunes « mineurs isolés ». C’est dans cette double approche, dont la pertinence s’est confirmée au fil de l’écriture, que nous avons construit la narration. Le film est découpé en autant de « chapitres » qui correspondent chacun à un domaine du conte et simultanément à une situation actuelle des chemins d’exil. Ainsi, les enfants des rues sont évoqués comme des « frères corbeaux » ou des petits poucets abandonnés par leurs parents, la vieille femme qui recueille Kyona dans la forêt comme une Baba Yaga, le couple des acheteurs d’enfants comme des ogres… Pariant sur le pouvoir de la fiction à rendre compte au mieux du réel, nous utilisons ses codes. L’histoire est située sur une carte imaginaire, rappelant peu ou prou les contours de l’Europe. Les peuples qui l’habitent nous sont étrangement familiers. Rien ne permet d’attribuer une époque donnée à l’histoire, qui pourrait se dérouler au siècle dernier comme aujourd’hui ou demain. Nous sommes dans le temps indéfini de la légende. Cette approche a fait que nous nous adressons à un public commun d’enfants et d’adultes, comme le font les mythes, qui offrent à chaque âge des images nécessaires pour se représenter et apprivoiser l’expérience du monde. L’action, du départ à l’arrivée, se déroule sur quatre saisons, que distinguent les atmosphères et les couleurs. Ce cycle contient une double traversée, les deux héros quittant à la fois leur pays et l’enfance. Sur le chemin, les héros apprennent à résister, à se battre, à perdre et à aimer. Ils deviennent progressivement eux-mêmes. Leur caractère évolue, comme leur corps et leur visage. Leur épopée prend un caractère initiatique et leur voyage s’offre comme la métaphore du passage vers l’âge adulte. Le récit est porté par la voix de Kyona âgée, qui relate le souvenir de sa « traversée », à partir d’un carnet de croquis qu’elle dessine tout au long de son périple. Cette mémoire restituée se présente ainsi comme un acte de transmission. Le carnet a été reconstitué à partir de dessins de ma mère, Mireille Glodek Miailhe. Entre 15 et 18 ans autour de la deuxième guerre mondiale, elle représente sa famille, son frère, des scènes de la vie quotidienne. C’est à partir de ses dessins que nous avons défini les personnages et certains décors. Inversement, des dessins de ma mère ont été modifiés pour correspondre aux personnages. Ainsi une troublante réalité se crée, faite d’allers-retours entre les croquis d’époque et l’univers du film. Le travail sur les décors et les situations a été précédé d’une documentation importante sur les parcours des réfugiés, les dangers encourus et les camps de rétention. Photos, reportages, récits fondent la part de réalité contemporaine du film. On le constate particulièrement dans les séquences consacrées au refuge des enfants des rues, au cirque nomade et aux prostituées et dans celles qui portent sur le camp de rétention de Shalangar. Le film joue ainsi constamment entre l’imaginaire et le documentaire, le quotidien et l’onirique. L’animation en peinture, avec ce qu’elle offre d’émotion esthétique et de mise à distance y contribue.
Peinture animée
Ma technique de peinture animée est un peu comme un numéro d’équilibriste sans filet. Je peins directement sous la caméra avec tout ce que cela implique de risques, d’intuitions, de hasards et d’exigences. Le processus est apparemment simple. Une caméra au dessus d’une table, un premier dessin est photographié puis modifié légèrement sur la même surface et au fur et à mesure des changements, on prend des images. Il y a peu de possibilités de retours en arrière. Je dessine le mouvement par transformations successives, touche après touche, créant une matière qui agit, vibre, produit ses propres intensités, ses propres couleurs. Je profite des accidents qu’elle m’offre, je me laisse guider par elle. Le détail des mouvements s’improvise au gré de mes intuitions, des idées qui surgissent… Je me suis toujours donné la liberté d’hésiter, de traîner, de gâcher parfois… Il n’y a rien de moins industriel que cette technique d’animation. Il est quasiment impossible de rationaliser le travail, d’espérer que l’on pourra faire tant de secondes par jour, tant de décors, tant de reprises en compositing. Au cinéma, il faut 24 images par seconde pour donner l’illusion du mouvement ou pour économiser un peu de travail , 12 dessins que l’on prend deux fois. On peut faire le calcul du nombre d’images qu’il faut faire pour 1 heure 20 de film. Jusqu’à présent, je travaillais seule ou presque. Mais pour un long métrage, il fallait une équipe. Comment faire passer aux décoratrices, aux animateurs et animatrices, cette technique qui est la traduction d’un travail personnel ? Nous avons commencé par réaliser plus de 500 décors avec dix décoratrices. Quatorze animatrices et un animateur ont travaillé sous ma direction. Il fallait garder la cohérence de l’ensemble, tout en donnant à chacun-chacune la possibilité d’exprimer son talent propre. Cela a été l’un des enjeux principaux du film. La réalisation a duré trois ans. Quatorze bancs-titres ont été construits dans trois studios et trois pays : la France, la République tchèque, l’Allemagne. Et petit à petit, seconde par seconde, plan par plan, j’ai vu le film naître.
Les voix et la musique
J’ai accordé beaucoup de temps au choix des voix et en particulier celles des enfants, souhaitant des acteurs qui aient l’âge des rôles. Les voix ont été enregistrées très en amont afin que les animatrices-teurs puissent se caler sur le rythme et le phrasé des comédiens. J’ai travaillé dans une grande proximité avec le compositeur de la musique, Philippe Kumpel. Pendant les trois ans du temps de la production, il a proposé des musiques parmi lesquelles , avec la monteuse Nassim Gordji Terhani, nous avons choisi celles qui accompagnent le récit de bout en bout, tenant un équilibre subtil entre son rôle narratif et la couleur qu’elle apporte au récit. Du début à la fin, la pie qui traverse le film – compagne « magique » de l’héroïne – est accompagnée d’un thème propre, aux accents enfantins et réconfortants.
Les personnages
Le couple sœur-frère porte le récit. Leur relation va évoluer tout au long de leur voyage et des épreuves. Ils grandissent, changent et révèlent leur personnalité. Aux deux tiers du film, leur relation basculera et c’est Adriel qui soutiendra sa soeur à la fin de leur épopée. La famille et les parents étant perdus assez rapidement, c’est une famille de cœur qui les remplace. Cette nouvelle famille d’alliés et d’amis se constitue au fil des rencontres. Parmi eux, la Babayaga de la forêt, Erdewan, Shaké, Issawa et des personnages attachants mais ambivalents, dont le charme tient à leur ambiguïté même, Iskender ou Madame.
KYONA, âgée de treize ans, vit dans un village pauvre à l’est du continent avec sa famille. Volontaire, téméraire, combattive, elle a trouvé son refuge et son expression dans le dessin. Elle ne se sépare jamais du carnet de croquis qui l’accompagne dans tout son périple et représente visuellement sa mémoire. C’est à travers son récit en voix-off que l’histoire nous est racontée. En tant qu’ainée, elle endosse la responsabilité de conduire son frère jusqu’au terme du voyage.
ADRIEL, âgé de douze ans, est le frère de Kyona. Sensible, facilement effarouché, il est également imprévisible et susceptible d’actes de bravoure irréfléchis. Adriel est au cœur du récit sans en être l’acteur principal. Alternativement moteur e t frein, il est la préoccupation incessante de Kyona dont la mission est de le conduire au delà de la frontière. Éprouvé par les aléas du voyage et les terreurs de la séparation d’avec sa famille, le jeune garçon va grandir douloureusement.
LES PARENTS, dépassés par les événements, décident de fuir leur village, Novi Varna, détruit par des miliciens, pour rejoindre un cousin qui habite dans un pays libre, à l’autre bout du continent. La famille sera vite séparée suite à un contrôle de police.
ISKENDER, chef d’un gang d’enfants des rues, est le premier étranger que les héros rencontrent sur leur trajet. À la fois petit dictateur et protecteur de sa bande, cet adolescent appartient à un peuple chassé des montagnes par les conflits. Il porte sur le visage les tatouages des Skanderbergs. Emporté dans la tourmente des migrations, il a appris à se débrouiller et à tirer seul son épingle du jeu. Iskender est une figure de la séduction et de l’ambiguïté.
JON est une représentation du mal ordinaire, trafiquant de la plus misérable espèce, receleur, vendeur de tout ce qui se vend, ferraille, enfants, renseignements… Personnage sans principe ni foi, Jon est partout, de plus en plus dangereux, de plus en plus menaçant.
LES DELLA CHIUSA sont un couple de bourgeois qui habite une demeure cossue au milieu d’un jardin. Il ne leur manque rien si ce n’est des enfants. Jon leur vend Kyona et Adriel. Étrange marché qui exige des enfants qu’ils oublient tout de leur passé et se plient aux caprices de leurs nouveaux « parents ». En échange, le gîte, le couvert, le luxe et une apparence d’amour qui confine à la folie. Florabelle, aiguë, apprêtée, enfantine, et Maxime, inquiétant et adipeux, sont les figures terrifiantes des ogres qui capturent les enfants.
MADAME, imposante et autoritaire, conduit de main de maître la caravane de son cirque. Elle mène la troupe d’artistes – dont la plupart sont des migrants – jusqu’aux frontières, qu’ils rêvent de traverser. La nuit, après la représentation sous le chapiteau, ses danseuses vendent leurs charmes à l’abri des roulottes. Avec elle, c’est donnant-donnant. Cette femme au passé trouble et que son présent de maquerelle protège de la curiosité policière recueille successivement Adriel puis Kyona.
ERDEWAN est un personnage solaire et attachant, immédiatement sympathique. Il appartient aux peuples du Nord dont il a la haute taille, les longs cheveux blonds et la peau très pâle. Rival d’Iskender, il tombera sous le charme de Kyona.
SHAKE se produit dans le cirque où Kyona et Adriel ont trouvé refuge. Elle y fait un numéro de funambule. Amicale, rassurante, moqueuse à l’occasion, elle se lie d’amitié avec les deux héros.
BABAYAGA pourrait être une sorcière, mais ce n’est qu’une vieille dame, blessée par la vie et qui s’est réfugiée dans le silence. Elle aussi porte les tatouages des Skanderbergs. Elle parle peu. Elle ouvrira sa porte, puis son cœur à Kyona.
ISSAWA, petit garçon de sept ou huit ans, apparaît dans la dernière partie du film, dans le camp d’internement dont il est l’un des prisonniers. Orphelin, il a la gouaille désarmante d’un Gavroche aguerri.
Les projections en entrée libre – dans la limite des places disponibles – se déroulent à Paris, dans le 2e arrondissement, près de la rue Montorgueil :
Salle Jean Dame, Centre sportif Jean Dame17 rue Léopold BellanMetro : Sentier (L3) ou Les Halles