JEUDI 15 JUIN 2023 à 19 h 30 : La Double Vie de Véronique, de Krzysztof Kieslowski
La Double Vie de Véronique
de Krzysztof Kieslowski
France/Pologne – 1991 – 1h 38’
version restaurée
Weronika, chanteuse à la voix d’or, s’est brûlé un doigt lorsqu’elle était petite. Elle aime les boules de cristal et souffre du cœur. Au cours d’un concert à Cracovie, elle meurt sur scène d’une crise cardiaque. À Paris, une jeune femme se sent soudainement emplie d’une tristesse qu’elle ne comprend pas. Véronique chante et, enfant, a failli se brûler le doigt. Elle aime les balles magiques et souffre, elle aussi, du cœur…
Cinémathèque française
Le destin de deux femmes, l’une polonaise, l’autre française, qui ont le même âge, le même physique et le même goût pour la musique.
Deux femmes comme deux versants d’une même pièce. Une Véronique en France, une Weronika en Pologne, inconnues l’une de l’autre, mais pourtant semblables à bien des égards. La Double vie de Véronique fait naître la grâce, la beauté absolue, dans un film qui touche à l’indicible. Sur les thématiques de l’alter ego et du destin, Krzysztof Kieślowski refuse les effets faciles et le risque de surinterprétation, pour questionner l’idée d’un autre nous-même, perdu au sein d’un ailleurs lointain. Dans un travail de précision, d’émotions et de sensations, il joue la carte du mystère, d’un monde parallèle où notre double réaliserait nos plus graves erreurs pour nous empêcher de les commettre ici-bas. Soutenu par la musique de Zbigniew Preisner, le long métrage suspend le cœur de son spectateur comme celui de sa nostalgique héroïne (Irène Jacob, magnifique), bientôt obligée de quitter une vie qu’elle ne peut réellement habiter. De ce lien aussi inexplicable que précieux, elle offrira à son autre elle-même la possibilité de s’accomplir, d’avancer dans son existence, malgré l’ombre tenace de la mélancolie. Pour Kieślowski, ce symbole représente un tournant majeur, une manière de choisir enfin l’espoir et le désir de saisir son identité en pleine lumière.
L’histoire
Deux femmes : une histoire mêlée. Alors que Weronika vit à Cracovie (Pologne), Véronique (Irène Jacob), elle, vit à Clermont-Ferrand (France). Sans qu’elles se connaissent, la mort de l’une (Weronika), qui s’évanouit et s’éteint durant son premier concert de choriste, semble changer sensiblement la vie de l’autre Véronique.
Analyse et critique
La Double vie de Véronique est pour Krzysztof Kieslowski l’œuvre qui suit la reconnaissance internationale de son cycle Le Décalogue (1988) et plus particulièrement les versions longues de Tu ne tueras point et Brève histoire d’amour. La Double vie de Véronique dépeint une quête de soi à travers le motif du double, deux figures féminines voyant leur destin, espérances et angoisses se répondre en miroir. Le lien le plus évident repose sur leur gémellité physique (toutes deux étant incarnées par Irène Jacob) et la dichotomie se fait sur leur environnement différent, la Pologne pour Weronica et la France pour Véronique.
La facilité aurait été d’entrecroiser les deux récits à coups de ponctuations/échos formels et narratifs par le montage mais Kieslowski se montre plus audacieux que cela. La première partie constitue un vrai moment de grâce où nous accompagnons les errances de Weronica à Cracovie.
L’épanouissement de Weronica passe par l’accomplissement artistique, l’impasse malheureuse au piano l’ayant guidée vers le chant, et c’est précisément sur un pur moment de magie de l’une de ses mélopées que nous est introduit le personnage. Malgré son petit ami, Weronica semble sans attache sentimentale, flottant face au regard bienveillant de son entourage (sa tante et son père) et cherchant la grâce et l’abandon dans les envolées vocales du concert pour lequel elle est embauchée.
Cependant le personnage ressent comme un vide, la quête d’autre chose qui se manifeste physiologiquement par les battements incertains de son cœur, puis métaphoriquement et/ou physiquement avec la rencontre de son double dans le tumulte des rues de Cracovie. Le mystère restera irrésolu pour elle, dans un dernier souffle divinement chanté.
La partie sur Véronique fonctionne à la fois en miroir inversé mais aussi en écho de celle de Weronica. On la découvre dans le plaisir charnel au lit avec un homme, soit le type de proximité à laquelle cherchait finalement à échapper Weronica. Véronique fuit, quant à elle, le refuge artistique de son double (elle ayant pourtant bien accompli son talent de pianiste) et recherche un bonheur plus intime. Weronica était un personnage rêveur dont le détachement constituait l’attrait mais aussi la perte, Kieslowski fait de Véronique un être plus lucide (y compris dans des éléments très concrets comme la conscience de sa maladie cardiaque) qui poursuivra plus explicitement ce vide qu’elle ressent plutôt que de le subir. Les moyens employés n’en sont pas moins singuliers et causes de moments abstraits et suspendus avec la quête de ce marionnettiste (Philippe Volter). On traverse le film comme dans un rêve éveillé où la photo de Slawomir Idziak prolonge cet état halluciné, le travail sur la bande-son formant un voile ou un éclaircissement quant à ce questionnement intérieur. Les si évidents et envoûtants apartés musicaux de Weronica symbolisent sa fuite du réel quand le très abstrait enregistrement sonore bruitiste que chérit Véronique la guidera vers une forme de vérité. Le film interroge sur le choix entre les brumes du songe et les éclats du réel en laissant le spectateur libre de sa préférence.
L’hypnotique (et dépaysante pour le spectateur français) partie polonaise débouche sur une disparition quand la plus ténue et laborieuse portion française est plus inégale (tels les tâtonnements de la vie finalement) mais fait évoluer son héroïne. Un dilemme en tout point magique qui en fera un nouveau succès critique (Prix d’interprétation féminine, Prix du Jury œcuménique et Prix FIPRESCI au Festival de Cannes 1991).
Les projections en entrée libre – dans la limite des places disponibles – se déroulent à Paris, dans le 2e arrondissement, près de la rue Montorgueil :
Salle Jean Dame, Centre sportif Jean Dame17 rue Léopold BellanMetro : Sentier (L3) ou Les Halles