Passer au contenu principal

LE FILS

Jeudi 6 février 2025 – 19h30

France – 2023 – 76’

Centre socio-culturel Cerise, 46 rue Montorgueil, Paris 2e


Sur une plage du sud de l’île, Raphaël, un enfant haïtien abandonné à la naissance, est élevé dans le plus grand dénuement par une sexagénaire blanche. Elle a tout quitté quand on le lui a confié et lutte depuis dix ans pour devenir sa mère légale. Dans un Haïti tourmenté, entre amour et orages, Diane perd pied, et Raphaël construit sa vie.

Bande-annonce

Alors qu’il arpente le littoral haïtien à la recherche d’un nouvel horizon cinématographique, le réalisateur Jérôme Clément-Wilz entend au loin des pêcheurs s’étonner de sa ressemblance avec « la Blanche de la plage ». Curieux, il cherche où habite cette mystérieuse femme et finit par toquer à sa porte. « Elle m’ouvrit et, sans même me dire bonjour, chuchota : “L’enfant dort, miracle”, sans que je sache de qui elle parlait, retrace le documentariste. Je l’ai retrouvée sur le rivage pour discuter, elle m’a raconté son histoire et celle de son fils adoptif, Raphaël. Il y eut soudain comme une évidence à mettre ce récit en images. »

Dans un quartier pauvre de Jacmel, dans le sud de l’île, la vie de Diane se métamorphose un matin de janvier 2007, quand un prématuré abandonné à la naissance se retrouve sous sa protection. La Canadienne aujourd’hui sexagénaire détaille au visiteur nocturne l’arrivée dans sa vie de ce petit être malingre, la volonté de rentrer dans son pays natal pour fuir la misère de Haïti, et l’illégalité de cette adoption aux yeux des institutions publiques.

Des vies à la marge

Les films de Jérôme Clément-Wilz se situent souvent dans des vies à la marge. « Je considère que les minorités sont la majorité, que chaque vie est hors norme à certains endroits. » C’est ainsi qu’il passe plusieurs années aux côtés de l’expatriée et de sa pupille, à suivre le combat pour la reconnaissance administrative de leur famille mais aussi l’évolution de leur relation. « J’ai tout simplement filmé un enfant qui grandit », résume-t-il. Et ce petit garçon, débrouillard et joyeux, est étonnant de candeur. Conscient de sa situation de « sans nom », des ragots du voisinage et de la folie bureaucratique des adultes, il trace sa route au milieu du tourbillon. « Quand j’ai commencé le tournage, j’ai tout de suite su que Raphaël me parlerait avec ses gestes plus qu’avec des mots. Et que je devais me rendre totalement disponible en tant que réalisateur, pour accueillir la force et la fulgurance poétique de ce qu’il est. »

En montrant le quotidien, les petites choses qui tissent au fil du temps un lien indéfectible, le documentaire interroge sur ce qui fait famille. « Plus qu’un récit sur l’adoption, c’est avant tout un film sur la relation d’une mère et de son fils. J’ai voulu capter l’étincelle qui peut surgir à tout instant, et être capable de danser avec la vie qui est en train de bouillonner face à moi. » Et soudain, devant sa caméra, cette famille-là apparaît comme une certitude. Belle et de guingois.

Les Inrocks

https://www.lesinrocks.com/cinema/le-fils-de-jerome-clement-wilz-le-recit-poignant-dune-adoption-sous-tension-a-haiti-631710-14-10-2024/

Avec “Le Fils”, Jérôme Clément-Wilz réalise le portrait d’une femme canadienne en Haïti, en lutte pour faire valoir son statut de mère adoptive. Un beau portrait déchirant complexifié par la question coloniale, que le film a l’intelligence de regarder frontalement.

Quelque part en Haïti, dans une bicoque plantée au bord de la mer, Raphaël, petit garçon d’une dizaine d’années, vit avec Diane. La Canadienne de 60 ans dit avoir seulement rempli son devoir en secourant ce nouveau-né, que sa mère biologique lui a confié un jour de janvier 2006. Plus tard dans le film, elle interprètera leur rencontre comme le signe d’une providence, le motif d’une consolation pour celle qui n’a pas vu ses deux autres enfants restés au Canada, depuis des années.

Tout ceci, elle le raconte, face caméra, ses yeux plantés dans les nôtres et dans ceux du réalisateur, Jérôme Clément-Wilz. Comme dans Être cheval, son précédent film – beau portrait documentaire sur un adepte du pony play –, sa présence et celle de sa caméra sont rapidement verbalisées, comme pour signifier un accord avec celles et ceux qu’il filme.

Cinq années de tournage

Dans une séquence de cette chronique quotidienne, sensible aux rituels et à la complicité entre Raphaël et Diane et étalée sur cinq années de tournage, on voit le garçon assis au bord de l’eau, découper des images dans un magazine. Sur l’une des vignettes apparaît le slogan “Réveillez-vous !” La consigne résonne étrangement avec le film et son action révélatrice. Alors que Diane se bat pour rentrer au Canada avec Raphaël, et pour faire reconnaître administrativement leur lien, le gouvernement haïtien regarde d’un œil suspicieux cette femme blanche qui a recueilli un enfant noir.

Le Fils a alors cette qualité d’écoute et de regard suffisante pour mettre en lumière cette discorde si complexe qui entremêle affects, sentiments et histoires coloniales. Il enregistre à mesure qu’il avance la chute progressive de Diane, qui perd des forces quand la lutte, elle, s’intensifie.

“Un réalisateur est venu à la maison”

Si Le Fils est aussi émouvant, c’est parce que le déchirement provoqué a à voir avec l’inéluctable des tragédies et de leurs issues impossibles. Au début, Diane, au téléphone avec son avocat, lui raconte qu’il vient de lui arriver quelque chose “d’extraordinaire” : “Un réalisateur est venu à la maison pour filmer mon histoire, il m’est tombé dessus comme un cheveu sur la soupe.”

Le miracle qu’accomplit le film est de nous donner cette sensation troublante que parfois le cinéma documentaire recèle aussi cette idée : peut-être que Diane et Raphaël attendaient autant Jérôme que lui ne les espérait.

Fipadoc – Podcast Raconter le réel

Interview du réalisateur