MARDI 3 FEVRIER 2015 à 20 h ▶ Dayana Mini Market, de Floriane Devigne
Dayana Mini Market
de Floriane Devigne
2012 – France – 54 minutes
Dayana, 15 ans, est élève dans un lycée hôtelier des beaux quartiers parisiens. Avec ses deux frères, Soum et Nila, elle grandit auprès de parents tamouls originaires du Sri Lanka. « Dayana Mini Market », c’est l’épicerie dans laquelle ses parents travaillent. C’est aussi là où toute la famille s’est entassée après s’être fait expulsée de son logement. Ce conte aux intermèdes chantés et dansés décrit avec émotion comment chacun bricole, contre l’adversité et les soucis financiers, un quotidien où l’argent et l’amour se disputent le premier rôle.
» Voilà un documentaire à la fois émouvant et audacieux. Si la jeune réalisatrice fait le pari de l’immersion, elle a fait le choix de raconter les joies et les déboires de ses héros à la sauce bollywoodienne. Les événements de leur vie, filmés en toute intimité, sont ponctués d’intermèdes musicaux aux décors kitsch et colorés mettant en scène Dayana, son père et sa mère. Une manière pour eux de chanter avec un ton décalé leur histoire, leurs soucis, leur vision d’eux-mêmes ou leur rêve. L’argent est bien sûr au cœur des préoccupations : les billets et les pièces se comptent et se recomptent, les réunions de tontine virent au mélodrame ; et quand des factures astronomiques parviennent à la boutique, le découragement n’est pas loin. Mais ce qui se joue surtout ici, c’est la question de l’intégration : comment faire sa place dans un pays qui n’est pas le sien, coincé entre les traditions du pays d’origine et celles du pays d’accueil ? Un entre-deux qui se perçoit dans la langue familiale hésitant entre français et tamoul, dans l’environnement où se disputent écrans plats et rites traditionnels, et dans le conflit entre une génération qui rêve de paillettes et l’autre qui croit aux études et au labeur. »
Interview de la réalisatrice (Arte TV)
Arte.tv : Comment êtes-vous venue au documentaire ?
Floriane Devigne : J’ai commencé à travailler comme comédienne à 20 ans, mais dès que je ne jouais pas, j’écrivais des courts-métrages, je mettais en scène des pièces de théâtre. Je m’étais juste « trompée » de côté de la caméra. On n’est pas au service du désir des autres quand on est réalisateur, on essaie au contraire que les autres croient à nos projets, nos fantasmes. Et si j’ai fait du documentaire et non de la fiction jusqu’à maintenant, c’est aussi parce que j’avais besoin de prendre un peu mes distances vis-à-vis du travail de comédienne. À cette époque déjà, je n’aimais pas spécialement les acteurs brillants, ceux dont on voit tout le savoir-faire. J’aime mieux les gens chez qui on voit d’abord une vérité, une personnalité. Du coup, les gens que je filme comme documentariste, je les filme parce qu’ils ont ce petit quelque chose sur lequel je n’interviens pas du tout. Dans Dayana Mini Market, tous les membres de la famille que je filme ont une dimension très archétypale alors que ce sont des vrais gens dans la vraie vie. J’ai parfois juste renforcé cette dimension en choisissant de filmer, puis de monter ceci plutôt que cela, tout en restant fidèle à ce qu’ils sont.
Votre passé de comédienne vous aide-t-il aujourd’hui dans votre travail de documentariste ?
F.D. : Le fait d’avoir été comédienne me donne un sens de la représentation, du spectacle. Cela me permet d’aborder des choses sérieuses et/ou graves, en ne m’interdisant pas de penser que c’est quand même du cinéma. Car sinon, si je voulais vraiment changer le monde, je ne ferais pas des films, je ferais de la politique ou des choses plus sérieuses. Dans ce documentaire pour Arte, c’est d’ailleurs hyper clair, je n’hésite vraiment pas à bousculer un peu le réel en le mettant en scène.
Avec les petites chansons par exemple ? Vous mettez en scène la famille de Dayana dans des sortes de mini clips pour lesquels vous avez écrit les paroles et fait composer les musiques par Mathias Duplessy. Il compose entre autre pour le cinéma bollywoodien.
F.D. : Oui, exactement, les membres de la famille de Dayana chantent et dansent. La maman a été chanteuse et assez vite j’ai eu l’idée de cette mise en scène. Je ne voulais pas faire un film avec des entretiens. Les chansons, c’est une sorte de ruse pour pouvoir raconter certains éléments de l’histoire sans faire des interviews face caméra. Je les trouve justes, assez bouleversants, non pas parce qu’ils sont d’incroyables chanteurs de comédies bollywoodiennes mais parce qu’ils ont une vérité, une fragilité. J’essaie de raconter des histoires, des caractères, des choses sensibles plus que des événements. Et finalement, ce qui a émergé dans ce film, c’est la beauté d’une famille.
Arte souhaitait, via cette collection documentaire, aller à la rencontre de ceux qui cherchent à se faire « une place au soleil ». Comment vous est venue l’idée de faire ce film ?
F.D. : En travaillant (rires)… En réfléchissant sur l’idée de l’argent, de fil en aiguille, je me suis dit que je voulais plutôt faire un film sur l’argent du quotidien, le petit argent, l’argent « en vrai » – par opposition au monde délirant de la finance d’aujourd’hui. En fait, je voulais revenir à ce qu’on aurait appelé « un franc », à l’époque. Et du coup, je me suis dit que ce serait intéressant de travailler sur l’idée d’un petit commerce.
Et puis, je vis dans l’une des plus grandes rues de Paris : rue des Pyrénées. C’est un véritable boyau à petits commerces. Mais c’est une rue en pleine gentrification. Actuellement, les petits commerçants ferment au profit de marques comme Yves Roché ou Jeff de Bruges qui s’implantent à leur place. Donc je suis partie de là, de l’idée de faire un truc sur un petit commerçant. Et ce qui m’intéressait dans l’argent du quotidien, c’était surtout le manque d’argent. Puis je me suis rendue compte que la famille d’épicier qui habitait en bas de chez moi traversait une période difficile et cela par une suite de hasards. Après qu’ils aient accepté l’idée du documentaire, leur situation s’est très vite compliquée. Les premières images du documentaire que l’on a gardées sur le montage final ont d’ailleurs été tournées par le papa de la famille à qui j’avais laissé une caméra. Il y avait l’imminence d’une menace d’expulsion qui est arrivée un jour où j’étais absente. C’est donc lui qui filme. Mais je ne voulais pas que le film relate toutes leurs misères. L’idée, pour moi, c’était de préserver ce qu’ils sont au quotidien, c’est-à-dire des gens lumineux avec une force étonnante, et non pas de raconter par le menu toutes leurs galères. Mon regard n’est pas celui d’un reporter qui filme les événements les uns à la suite des autres. J’essaie de raconter des histoires, des caractères, des choses sensibles plus que des événements. Et finalement, ce qui a émergé dans ce film, c’est la beauté d’une famille.
On sent que vous avez une relation particulière avec cette famille. Est-ce que ce film vous aura marqué d’une façon particulière ?
F.D. : Oui, il y a eu quelque chose relevant de la nécessité et de l’entraide qui s’est mis en place sur ce projet, quelque chose qui ne m’était jamais arrivé auparavant. Ils ont été expulsés de leur logement et c’était mes voisins. Avec Sister production, on leur a trouvé un avocat pour essayer de démêler leur situation, on les a accompagnés dans les démarches auprès de la mairie etc. Il y avait le film et il y avait eux, leur situation. Quand on fait du documentaire, on est lié aux gens, il y a comme une forme d’engagement, on ne peut pas les abandonner. L’amitié ne se développe pas comme avec eux à chaque film. Mais eux, ils sont juste extraordinaires, ils m’ont appris plein de choses sur la vie. Ce sont maintenant des amis.
Les projections en entrée libre – dans la limite des places disponibles – se déroulent à Paris, dans le 2e arrondissement, près de la rue Montorgueil :
Salle Jean Dame, Centre sportif Jean Dame17 rue Léopold BellanMetro : Sentier (L3) ou Les Halles