VENDREDI 16 JUIN 2017 à 20 h ▶ Mr Gaga, sur les pas d’Ohad Naharin
Mr Gaga, sur les pas d’Ohad Naharin
de Tomer Heymann
Israël/Suède/Allemagne/Pays-Bas – 2015 – 1h 40′
L’histoire fascinante d’Ohad Naharin, célèbre chorégraphe de la Batsheva Dance Company, dont les performances dégagent une puissance et une beauté inégalées. Le film nous dévoile le processus créatif d’un chef de file incontesté de la danse contemporaine, l’invention d’un langage chorégraphique unique et d’une technique de danse hors-norme appelée « Gaga ».
Le « Gaga » est pour Ohad Naharin un langage qui lui permet de communiquer avec ses danseurs, et de prendre soin des corps. Le mot puise son origine dans un jeu très connu des enfants israéliens, ressemblant au cricket. Mais Ohad l’utilise davantage pour sa sonorité, très enfantine, et ce à quoi il ressemble quand il est écrit, que pour sa signification.
Le Gaga établit une connexion entre le plaisir et l’effort. Ohad Naharin l’enseigne aussi bien à des danseurs professionnels qu’à des personnes n’ayant jamais pratiqué la danse. Il renoue avec l’écoute de nos corps, la conscience de l’espace, les sensations de notre squelette, de notre chair, de nos vêtements et nous pousse à dépasser les limites.
Les corps doivent trouver de nouvelles habitudes. Il s’agit de repérer les atrophies que nous avons tous et de les dépasser pour atteindre la longévité. La force physique ne l’intéresse pas tant que la force qui permet d’aller au delà et d’atteindre l’équilibre dans le corps. Il l’appelle la « force féminine ».
Il donne un autre sens à la rapidité. Il demande à ses danseurs de faire plus grand au lieu de faire plus vite, et d’élargir cet espace temps. La clé est d’avoir le sentiment d’avoir pleinement le temps, de ne pas être pressé, de lâcher prise. Il faut « se rendre », s’en remettre à l’univers et être connecté à lui, ne plus être au centre.
Entretien avec Ohad Naharin
ELLE. Le réalisateur de « Mr Gaga » raconte que vous avez mis longtemps avant d’accepter son projet de documentaire.
Ohad Naharin. Mais non, ça n’a pas été très long ! Vous savez, je connais Tomer Heymann depuis vingt-cinq ans… Ce n’est pas que je ne voulais pas, mais bon, ça ne m’intéresse guère de voir mon travail fixé. Une parole, un geste peuvent être très vrais un jour, et n’avoir plus aucun sens à un autre moment. Du coup, pourquoi construire des documents d’archives ? Mais quand j’ai compris que ce documentaire ne serait pas de l’information pure, mais un film, une œuvre d’art – car Tomer est un artiste –, j’ai été d’accord pour collaborer avec lui sur ce projet. Ce n’est pas un film sur moi, mais une œuvre d’art faite en collaboration.
ELLE. Tomer Heymann dit qu’il a travaillé huit ans…
Ohad Naharin. Oui, ça ne m’a semblé ni long ni difficile. Si Tomer dit que ça a été compliqué, c’est parce qu’il a un petit penchant à la dramatisation. Bon et peut-être c’était dur pour lui.
ELLE. Et ce film porte sur quoi ? Sur vous ? Sur la danse, sur votre danse ?
Ohad Naharin. C’est un film sur nous, sur nous tous. Parce que je pense que nous nous ressemblons beaucoup plus que nous ne différons. Nous sommes des semblables. Mais nous ne sommes pas les mêmes. Le même est toujours une illusion. Et particulièrement en danse.
ELLE. En danse ?
Ohad Naharin. Oui, la symétrie par exemple est une pure illusion. Le danseur fait un mouvement à droite, puis tente de le reproduire exactement de la même façon à gauche. Et ça le bloque, parce que la gauche n’est jamais exactement pareille que la droite. Avec mes danseurs nous avons un exercice que nous avons surnommé « j’emmerde la symétrie ». J’enseigne le plaisir de l’asymétrie, je tente de porter attention aux différences infimes entre droite et gauche. Cela peut créer des formes encore plus belles, plus pures.
ELLE. Dans le film, vous chantez « nous devons mentir »… Et ça sonne comme une vérité.
Ohad Naharin. Hum… Mentir ? Prononcer un mensonge, c’est faire appel à son imagination. Quand on croit dire la vérité, souvent on la tord : comme quand Tomer vous dit à quel point cela a été difficile de faire « Mr Gaga ». Et que moi, je vous affirme le contraire. Où est la vérité ? Tout ce qu’on construit, les théories, les croyances a à voir avec l’imagination. Et les gens veulent que ce soit la vérité. Certains croient en Dieu, ils en parlent, ils vivent en fonction de lui… Mais Dieu n’existe pas ! Pas plus que l’âme ou le cœur. C’est quoi le cœur ? Un organe qui distribue le sang dans le corps. Mais ça nous aide d’en faire le siège des sentiments.
ELLE. Le film commence et finit par une chute. La chute a-t-elle à voir avec la danse ?
Ohad Naharin. Ce début et cette fin, c’est le choix de Tomer. Mais il est vrai que je cherche à donner suffisamment d’assurance physique à mes danseurs pour qu’ils puissent tomber sans se faire mal. Dans ma vie aussi, je cherche à créer une sécurité qui me permette de tomber de toute ma hauteur sans me briser. La chute, c’est aussi éprouver la gravité dans sa chair. La force la plus importante qui détermine la danse et la vie… Tomber, c’est lâcher prise, se libérer de toute tension, s’abandonner. C’est important de ne craindre ni de tomber ni de se tromper.
ELLE. Vous dites que vous ne vouliez pas devenir danseur, mais que vous étiez danseur. Certains sont danseurs, d’autres non ?
Ohad Naharin. Disons que certains ont de bons gènes, la souplesse, la force, le sens du rythme, la coordination… Et la passion. Ma fille a sept ans, elle n’a jamais pris une seule leçon de danse. Mais elle danse tout le temps avec talent. Tout le monde peut danser… Mais certains sont plus doués que d’autres.
ELLE. Car dans les sessions de Gaga que vous organisez, vous faites danser tout le monde…
Ohad Naharin. Oui, c’est ma mission : partager ce que je sais avec tous.
Les projections en entrée libre – dans la limite des places disponibles – se déroulent à Paris, dans le 2e arrondissement, près de la rue Montorgueil :
Salle Jean Dame, Centre sportif Jean Dame17 rue Léopold BellanMetro : Sentier (L3) ou Les Halles