VENDREDI 30 JUIN 2017 à 20 h ▶ Le Voyage au Groenland, de Sébastien Betbeder
Mr Gaga, sur les pas d’Ohad Naharin
de Tomer Heymann
France – 2016 – 1h 38
avec Thomas Blanchard, Thomas Scimeca, François Chattot, Ole Eliassen, Adam Eskildsen
Thomas et Thomas cumulent les difficultés. En effet, ils sont trentenaires, parisiens et comédiens… Un jour, ils décident de s’envoler pour Kullorsuaq, l’un des villages les plus reculés du Groenland où vit Nathan, le père de l’un d’eux. Au sein de la petite communauté inuit, ils découvriront les joies des traditions locales et éprouveront leur amitié.
Sous le signe de Jankélévitch et d’Hergé
Le Voyage au Groenland est un film lumineux où l’émotion est d’autant plus forte qu’elle sourd d’un subtil décentrement du quotidien. Variation betbederienne autour de ses figures de paumés perchés, l’épopée drolatique de Thomas et Thomas, jeunes gens lunaires parachutés sur une terre lunaire, se déroule sous le patronage conjoint du philosophe et du dessinateur de BD.
Sous les auspices malicieux du premier, un je-ne-sais-quoi flotte comme un charme dans ce village inuit, sorte d’idéal écolo : pas d’électricité, on charrie l’eau selon les besoins, les toilettes sont sèches, les équipements techniques sont modestes, collectifs et souvent en panne, on y pratique le footing comme aux Buttes Chaumont.
La luminosité particulière de ce territoire gelé éclaire le tragique familier de leur précarité et de leur maturité indécise de façon plus aigüe qu’observées dans leur écosystème habituel. Un je-ne-sais-quoi d’infime, ici, décale la banalité des petits riens par lesquels, sur la fine crête de l’instant, on surprend les vibrations et les altérations qui traversent les deux Thomas. Quand ni la langue de l’autre ni ses codes ne sont intelligibles, quand la proximité amicale obture la connaissance de l’autre (l’autre comme le même, c’est l‘ignorance de l’autre), l’altérité devient miroir et l’expérience de l’amitié se déploie, aussi paradoxalement que la relation au père se tisse dans la distance pudique.
C’est sous le signe du second que les aventures de T &T au Groenland imposent leur expressivité poétique, une limpidité qui a tout à voir avec la ligne claire : précision, rigueur et lisibilité. Les séquences sont structurées et cadrées comme des planches de bande dessinée. La chasse au phoque est à ce titre exemplaire : l’absence d’ombre sur la banquise renvoie à la quasi absence d’ombre dans les dessins d’Hergé, l’expressivité graphique des silhouettes des deux Thomas, le temps suspendu du final (viser/tirer) qu’on voudrait prolonger en revenant à son début, comme dans la relecture fébrile d’une page de BD pour en prolonger la fin… la jubilation d’un récit en soi. Autres échos à l’art de la BD, les enchaînements séquentiels et les quelques voix off fonctionnant comme des récitatifs (1).
Le voyage excelle à déployer la palette des rêveries douces-amères des deux héros. Merveilleux comédiens, très contemporains dans l’incertitude de leur statut social et affectif, Thomas Blanchard et Thomas Sciméca résistent au tragique familier avec une mélancolie souriante et une légèreté élégante. Ils distillent une émotion de haute intensité et s’en reviendront de cette contrée au froid revigorant avec une maturité nouvelle.
Cati Couteau
La partie émergée de l’iceberg, par Gabrielle Adjerad
Nous avions déjà fait connaissance avec le couple comique des Thomas (Thomas Scimeca, Thomas Blanchard) dans deux œuvres précédentes de Sébastien Betbeder : à l’époque, ils préparaient leur voyage au Groenland. Dans Inupiluk, court métrage qui obtint le Prix Jean Vigo du court métrage en 2014 et le prix du public à Clermont-Ferrand, les deux compères recevaient des correspondants de cette terre lointaine, Ole et Adam, dans le tumulte de leur vie parisienne. Auréolée du succès de ce premier court-métrage et forte de l’expérience d’un proche du producteur vivant au Groenland, l’équipe du film décida de rendre la pareille aux invités inuits en allant tourner dans le minuscule village de Kullorsuaq. Cela donne tout d’abord Le Film que nous tournerons au Groenland, court métrage prospectif dans lequel l’équipe se creuse la tête sur les enjeux narratifs du film à venir.
Aujourd’hui, sort cet opus à la croisée des chemins entre la fiction et le documentaire, Le Voyage au Groenland, qui met en scène les deux acteurs parisiens d’Inupiluk, Thomas et Thomas, rendant visite au père de l’un des deux jeunes hommes, émigré au Groenland depuis maintenant très longtemps. Le résultat est une comédie apparemment sans heurts dont la première vertu est de ne pas reposer sur la facile inadaptation de ces hurluberlus à cette terre étrangère. Au contraire, leur duo fonctionne à l’unisson et l’immersion dans cette société autochtone semble facile : le rire naît paradoxalement du calme, ce qui n’est pas chose aisée.
Par ailleurs, la vanité du désir de fuite qui caractérise à la fois l’ambition du réalisateur et de ses personnages, est subtilement soulignée par cet ailleurs qui ne parvient pas, malgré son étrangeté à être totalement dépaysant. On pouvait craindre un exotisme de carte postale mais Thomas et Thomas n’oublient pas d’emporter dans leurs bagages la discrète mélancolie parisienne qui caractérise le cinéma de Sébastien Betbeder. […]
Les projections en entrée libre – dans la limite des places disponibles – se déroulent à Paris, dans le 2e arrondissement, près de la rue Montorgueil :
Salle Jean Dame, Centre sportif Jean Dame17 rue Léopold BellanMetro : Sentier (L3) ou Les Halles