MERCREDI 8 MARS 2023 à 20 h : Trois visages, de Jafar Panahi
Trois visages
de Jafar Panahi
Iran – 2018 – 1h 40’
La comédienne Behnaz Jafari a reçu sur son portable une vidéo très alarmante de la part de Marziyeh, une jeune fille qu’elle ne connaît pas. Cette dernière lui explique avoir été acceptée au concours d’entrée du conservatoire de Téhéran, mais, sa famille refusant de la laisser mener une vie de saltimbanque, elle a sombré dans un profond désespoir. Craignant que l’inconnue n’ait mis fin à ses jours, comme le laisse présager la fin brutale de son message, Behnaz prend la route avec son ami le réalisateur Jafar Panahi pour le village isolé des montagnes azerbaïdjanaises où vit l’adolescente…
Dossier de presse
NOTES DE RÉALISATION
LES ORIGINES DU PROJET
Le film est né d’une situation qui, sans être nouvelle, a littéralement explosé avec l’avènement des réseaux sociaux – extrêmement utilisés en Iran : la quête éperdue de contact, en particulier avec des personnalités du cinéma. Jafar Panahi, malgré sa situation officielle de réalisateur proscrit dans son propre pays est l’un des destinataires les plus sollicités par ces propositions – notamment de jeunes gens qui veulent faire des films. Et comme la plupart de ceux qui reçoivent de nombreux messages de la part de leurs fans sur les réseaux sociaux, il n’y répond que rarement, mais cela lui est déjà arrivé de ressentir une sincérité, une intensité qui l’ont poussé à se questionner sur la vie de celles et ceux qui envoient ces messages. Un jour, il a reçu sur Instagram un message qui lui paraissait plus sérieux, et au même moment les journaux ont parlé d’une jeune fille qui s’était suicidée parce qu’on lui avait interdit de faire du cinéma. Il a imaginé alors recevoir sur Instagram une vidéo de ce suicide, et s’est demandé comment il réagirait face à cela.
UNE ROUTE ÉTROITE ET SINUEUSE
Cette idée a croisé l’envie de revenir sur l’histoire du cinéma iranien, et ce qui avait entravé ses artistes, par différentes manières, à différentes périodes. D’où l’idée d’évoquer trois générations, celles du passé, du présent et du futur, par l’intermédiaire de trois personnages d’actrices. En composant ces trois récits est née l’image de cette route étroite et sinueuse, qui est une représentation concrète de toutes ces limitations qui empêchent les gens de vivre et d’évoluer.
LE TOURNAGE
Comme toujours, Jafar Panahi a entièrement écrit le scénario dans les moindre détails – même si en tournant il a fait quelques modifications en fonction de la situation. Une situation qui s’est révélée très accueillante au projet, pour un cinéaste retrouvant l’air libre après des films confinés dans des intérieurs – appartement, maison, voiture. En effet, le tournage a eu lieu dans trois villages, respectivement les villages natals de sa mère, de son père et de ses grands-parents, dans un environnement familier et protecteur qui aura beaucoup facilité ses choix de mise en scène. En utilisant une caméra très sensible, envoyée par sa fille qui habite en France, il a pu travailler y compris de nuit en extérieur sans avoir besoin d’un matériel lourd.
Ces villages se trouvent au Nord-Ouest du pays, dans la partie azérie de l’Iran, où les gens à la campagne sont particulièrement attachés aux traditions, avec des aspects encore très archaïques. Les comportements des habitants dans le film sont conformes à ce qui se passe dans cette région. La route sinueuse que l’on voit à l’écran existe toujours, bien qu’aujourd’hui les voitures empruntent désormais une autre route, plus large et asphaltée.
BEHNAZ JAFARI
Au début, Jafar Panahi avait prévu que le couple qui arrive au village serait interprété par une autre actrice et son mari, qui est producteur. Finalement cette actrice n’a pas pu faire le film, il a alors proposé le rôle principal à Behnaz Jafari, qui est une comédienne célèbre en Iran. Elle a joué dans de nombreux films, Le Tableau noir de Samira Makhmalbaf (2000), ainsi que dans des séries télévisées très populaires. D’ailleurs, l’épisode qu’on voit dans le film passait vraiment à la télévision quand la scène a été tournée. Avec elle, Panahi a décidé de prendre le volant, pour tirer partie de sa connaissance de la langue turque azérie qu’il connaît bien, et qui facilite les relations avec les villageois, et avec la jeune fille qui a envoyé le message, relations qui sont un des enjeux du film. Connue aussi pour être une forte personnalité, Behnaz Jafari a tenu à s’engager entièrement au service du projet, et a refusé d’être payée.
SHAHRZAD & MARZIYEH REZAEI
Si le deuxième personnage féminin majeur du film, la jeune fille, est joué par quelqu’un que le réalisateur a rencontré par hasard dans la rue, aussitôt convaincu que la jeune Marziyeh Rezaei était faite pour ce rôle, la troisième grande figure est une star historique du cinéma iranien, Shahrzad (de son vrai nom, Kobra Saeedi). Le film insiste sur la façon dont les actrices ont toujours été considérées avec mépris, et perçues comme des filles de mauvaise vie, avant comme après la révolution islamique. Un des objectifs de Panahi est de souligner combien elles étaient, et sont au contraire de véritables artistes. C’est exemplairement le cas de Shahrzad, vedette du cinéma populaire de l’époque prérévolutionnaire, actrice très talentueuse même si souvent utilisée en mettant en avant ses attraits physiques dans des numéros chantés et dansés. Elle est aussi poète et auteure d’une œuvre importante. Comme toutes les stars de cette période, Shahrzad est interdite de tournage depuis la révolution. Si elle ne joue pas dans le film, son personnage est soit en ombre chinoise soit de dos pour bien marquer son absence, ce n’est pas pour respecter cet interdit mais par désir de la faire exister comme absence – ce qu’indique d’ailleurs le poème cité à la fin du film. En Iran, tout le monde la connaît, y compris dans les jeunes générations. Parmi ses apparitions les plus célèbres, très nombreux sont ceux qui se souviennent de sa présence dans Qeysar, grand film noir de Massoud Kimiai (1969) où elle interprète un numéro d’une sensualité comparable à celui de Rita Hayworth dans Gilda.
PRÉSENT PAR SON ABSENCE
Une fois le film tourné, Panahi est allé à Ispahan où vit Shahrzad, il lui a demandé l’autorisation d’utiliser son nom. Elle a non seulement accepté mais elle a enregistré son poème, c’est sa voix qu’on entend dans le film. De même l’acteur qu’on voit sur l’affiche, Behruz Vossoughi dans le rôle titre de Tangsir d’Amir Naderi, était immensément populaire, et l’est resté même s’il s’est exilé aux Etats-Unis après la révolution. Et Tangsir, dans un style de western contemporain, est un récit de révolte contre les corrompus, y compris religieux, dont le héros continue d’incarner un esprit auquel les Iraniens se réfèrent volontiers.
LE POUVOIR MASCULIN
Vossoughi a été l’une des incarnations les plus célébrées d’une forme héroïsée du pouvoir masculin dans des films au machisme revendiqué, caractéristique du cinéma populaire d’avant la révolution – depuis celle-ci, les formes de domination masculine ont changé, sans qu’elles disparaissent pour autant, y compris à l’écran. Trois visages évoque de manière critique cet héritage en mettant au centre de son récit des personnages féminins, mais aussi par exemple autour de cette question, très présente dans les parties les plus traditionnelles de la société, de la fétichisation du prépuce. La sacralisation de ce petit morceau de peau, aussi bien que les questions liées à la puissance reproductrice du taureau, participent de ce thème majeur du film.
UN CHANGEMENT D’ATTITUDE
Contrairement à ce qui s’était produit pour Taxi Téhéran, où le nom des collaborateurs ne figuraient pas au générique, cette fois tous s’y trouvent, preuve d’un changement d’état d’esprit en Iran : lors du précédent film, certains techniciens avaient peur des conséquences si leur nom apparaissait, cette fois, tout le monde a insisté pour être présent au générique. Comme on l’a vu aussi lors des manifestations fin 2017, il y a désormais en Iran des gestes de protestations beaucoup plus virulents que par le passé. Cela s’est aussi traduit par la mobilisation de l’ensemble des professionnels du cinéma en faveur de Jafar Panahi : toutes les associations professionnelles du cinéma (réalisateurs, producteurs, distributeurs, techniciens, etc.) ont écrit au président de la République pour lui demander de l’autoriser à aller à Cannes. Mais lui, tout en saluant ce geste de ses confrères, insiste surtout sur le fait qu’on l’autorise désormais à filmer comme il l’entend dans son pays, et à montrer ses films. Panahi a également fait savoir qu’il demande que les autres réalisateurs maltraités soient laissés en paix, avec la possibilité de voyager et de tourner – à commencer par Mohammad Rassoulof, qui avait été arrêté en même temps que lui en 2009, et qui fait à nouveau l’objet de pressions administratives, les autorités lui ayant retiré son passeport après qu’il ait présenté son dernier film à l’étranger.
Les projections en entrée libre – dans la limite des places disponibles – se déroulent à Paris, dans le 2e arrondissement, près de la rue Montorgueil :
Salle Jean Dame, Centre sportif Jean Dame17 rue Léopold BellanMetro : Sentier (L3) ou Les Halles