MERCREDI 5 AVRIL 2023 à 20 h : La Soif, de Svetla Tsotsorkova
La Soif (Jajda)
de Svetla Tsotsorkova
Bulgarie – 2015 – 90′
Avec : Monika Naidenova, Alexander Benev, Svetlana Yancheva, Ivaylo Hristov, Vasil Mihailov
Des draps blancs flottent dans le vent, quelque part dans les terres vallonnées de Bulgarie. Ils proviennent d’un hôtel de la région. Un couple et leur fils de 16 ans gagnent leur vie en les lavant. Pourtant, l’eau se fait rare cet été-là, mettant à mal leur affaire. On fait alors appel à un homme et à sa fille adolescente pour résoudre le problème. Ils sont puisatiers. À la recherche de nouvelles sources d’eau, les deux familles apprennent à se connaître et découvrent bientôt qu’ils ressentent un plus grand besoin encore: l’amour, qui ne tardera pas à submerger tous les protagonistes. Svetla Tsotsorkova nous présente pas à pas, dans son premier film mêlant images époustouflantes et laconisme latent, la soif d’amour de ses personnages.
Film sélectionné pour le festival du film européen 2019 (ARTE)
On ne peut guère imaginer cadre plus pittoresque que celui choisi par Tsotsorkova pour dépeindre la manière dont des forces étrangères peuvent affecter la vie sans histoires d’une famille. La vieille maison exposée aux éléments, au milieu des draps claquant au vent, rappelle l’image d’un Béhémoth brun qui serait prêt à s’élancer vers le ciel dans un grand déploiement d’ailes colorées. Cela pourrait peut-être déclencher une tornade en Chine, bien qu’ici, à dire vrai, la sourcière aux cheveux blonds sera à l’origine des bouleversements de cette histoire, écrite par la réalisatrice avec Svetoslav Ovcharov et Ventsislav Vasilev.
Avec ses vérités tronquées, son extrême franchise et sa nature tranquille, presque maussade, la jeune fille fait surgir l’évidence pour chacun des autres personnages. L’adolescent se rend compte qu’il comble le vide de ses journées en repassant les draps et en s’occupant de la cuisine, la mère se rend compte que les années s’envolent aussi rapidement que des secondes au milieu des draps suspendus, chassées par le vent aride et perdues à jamais ; tandis que le père comprend que ses deux crises cardiaques ont fait de lui un vieil homme. Présenté par la réalisatrice comme un film “intime, vécu, à caractère autobiographique”, Thirst montre que non contente de meurtrir le sol, la sécheresse peut aussi fendre l’âme.
Tandis que le travail attentif du directeur de la photographie Vesselin Hristov emplit l’écran de bruns infinis, la réalisatrice pimente les tribulations de ses personnages de moments drôles, méditatifs et affectueux qui font de la colline et de la maison au bout de son chemin de terre sinueux, un fascinant microcosme des réalités familiales.
Cineuropa : Le lieu que vous avez choisi pour le tournage est très important pour l’histoire. Le scénario a-t-il été écrit spécifiquement pour ce lieu ?
Svetla Tsotsorkova : Nous avons passé des mois à chercher un site où tourner le film. Quand nous avons déniché le village idéal pour le script, nous nous sommes demandé pourquoi aucune résidence d’été n’avait été construite sur place, car le paysage était magnifique. Il ne nous a pas fallu longtemps pour comprendre que c’était à cause du manque d’approvisionnement correct en eau dans la région. Les quelques habitants qui y vivent doivent encore aller puiser leur eau à la source. La sécheresse est un fléau, mais elle n’empêche pas d’être inventif. Par exemple, dans l’une des maisons, une piscine a été construite pour récolter l’eau de pluie. Nous avons instantanément décidé d’utiliser ce détail dans le film. Comme mon mentor, Georgi Djulgerov, avait coutume de me dire à l’époque où j’étais encore son élève à l’Académie du cinéma de Sofia : « La vie est le plus grand des inventeurs ». Il avait raison.
Vous semblez très efficace dans la direction des jeunes acteurs. L’adolescence revêt-elle une signification particulière pour vous, en tant qu’auteur ?
J’ai passé mon enfance dans un petit village niché sur une montagne bulgare. J’étais sûre que la vie dans le village était ennuyeuse et monotone. Aujourd’hui, quand j’y repense, je me dis que j’étais décidément bien irréfléchie et égoïste, à l’image de l’enfance, mais j’ai pu me plonger à nouveau dans cette période en cherchant un sujet pour mon film… Peut-être parce que j’ai conscience qu’il s’agit du seul moyen pour moi d’y retourner.
Quel a été le plus grand défi du tournage de Thirst ?
Trouver des adolescents capables d’incarner le garçon et la fille n’a pas été chose facile. Cela m’a pris presque deux ans. Mon assistant et moi avons passé de nombreuses heures à observer des garçons et des filles au parc et dans les cours de récréation. Si l’un d’eux nous paraissait prometteur, nous allions à sa rencontre. J’ose à peine imaginer ce qu’ils ont dû penser ! Ainsi, j’ai rencontré plus de 3 000 adolescents avant de trouver Monika et Alexander.
Travailler avec des acteurs aussi intelligents, sensibles et professionnels qu’Ivaylo Hristov, Svetlana Yancheva et Vasil Mihajlov s’est révélé extrêmement précieux, mais c’était aussi une gageure : c’était mon premier long-métrage et eux leur centième. Leur expérience du métier a été d’une grande aide au moment du développement des personnages, mais il a parfois été difficile pour moi de les diriger comme je le voulais.
Est-il difficile de sortir un film bulgare en Bulgarie ? Comment s’assurer qu’un film sera applaudi à la fois dans les festivals et dans les salles ?
Il faut s’écouter. Il faut croire en sa sensibilité, son goût et son intuition, raconter des histoires authentiques ou vécues, mettre en scène des personnages que vous avez rencontrés ou que vous pouvez réellement comprendre. Tout cela ne peut mener qu’à un résultat positif, d’une manière ou d’une autre.
Calculer si le film sera une réussite ou non auprès du public ou s’efforcer de faire plaisir aux festivals, c’est encore autre chose. Un des problèmes que rencontre la distribution des films, en Bulgarie, c’est le manque de présence d’un réseau stable de cinémas d’art et d’essai. Les multisalles affichent principalement des productions américaines ; les titres européens et bulgares ne les intéressent pas. Ce système transforme la distribution de films en un travail de démarcheur : les réalisateurs se voient souvent obligés de prendre leur film et de faire le tour de différentes villes pour négocier avec les autorités locales l’autorisation de le projeter dans les cinémas locaux. Il est difficile de capter l’attention des cinéphiles.
Notre film va bientôt sortir en Bulgarie. Le public a perdu confiance dans les productions locales. Il nous faut creuser un tunnel mais les deux parties, auteurs et cinéphiles, doivent se mettre à l’ouvrage si on veut nourrir l’espoir de les voir se rejoindre.
La Bulgarie a présenté dernièrement un série de premiers long-métrages très impressionnante qui suggère un intéressant changement de générations. Comment décririez-vous le paysage cinématographique bulgare ?
Le cinéma bulgare est fortement dépendant du soutien financier de l’État. Si le gouvernement décide que le budget est menacé, le secteur culturel sera le premier à subir des coupes budgétaires, ce qui pourrait signifier plusieurs années sans aucune production cinématographique. J’espère sincèrement que le gouvernement est maintenant conscient que la culture est un des quelques produits qui distinguent notre pays. J’espère également qu’ils ont compris que la culture ne pouvait pas être « guidée », mais qu’au contraire elle doit être encouragée. Il y a beaucoup de réalisateurs de talent en Bulgarie, dans toutes les générations. Ils devraient simplement pouvoir travailler sans aucune ingérence de la part du gouvernement.
Les projections en entrée libre – dans la limite des places disponibles – se déroulent à Paris, dans le 2e arrondissement, près de la rue Montorgueil :
Salle Jean Dame, Centre sportif Jean Dame17 rue Léopold BellanMetro : Sentier (L3) ou Les Halles