JEUDI 14 DECEMBRE 2023 à 19 h 30 : Pandora, de Albert Lewin
Pandora
de Albert Lewin
France/Espagne/Belgique – 2019 – 1h 14’
Royaume-Uni – 1951 – 2h 04’
Avec Ava Gardner et James Mason
À la fin de l’été 1930, deux corps sont repêchés au large du village d’Esperanza, en Espagne. Quelques mois plus tôt, la chanteuse américaine Pandora Reynolds enflammait les coeurs de tous les hommes de la région. Suite à un pari, elle se fiance avec Stephen Cameron, un pilote automobile britannique. Un soir, Pandora observe un yacht amarré dans la baie et décide de s’y rendre à la nage. Elle fait alors la rencontre de son propriétaire, Hendrick van der Zee, qui n’est autre que le Hollandais volant de la légende : un homme condamné à errer sur les océans pour l’éternité, jusqu’à ce qu’il trouve une femme prête à mourir pour lui…
Réalisateur épris de littérature européenne et de peinture surréaliste, l’Américain Albert Lewin n’a que trois films à son actif lorsqu’il tourne Pandora, relecture grandiose de la mythologie à travers les figures de Pandore et du Hollandais volant. James Mason et Ava Gardner sont les vedettes de ce conte sophistiqué et romanesque ; ils incarnent avec majesté deux êtres liés par un funeste destin.
Filmé par le maître du Technicolor Jack Cardiff (Le Narcisse noir), Pandora subjugue par sa palette de couleurs conférant à chaque scène une dimension symbolique et onirique. Ses plans sont à eux seuls de véritables tableaux, évoquant aussi bien les œuvres surréalistes de Magritte ou Dalí que la beauté atemporelle des statues antiques. Avec Pandora, Albert Lewin prouve ainsi ses talents de conteur et d’esthète du cinéma moderne.
Un chef-d’œuvre à admirer dans sa version restaurée en 4K à partir de la copie 35 mm personnelle de Martin Scorsese !
Critikat – Ariane Prunet
Flamboyante fantaisie
Après de nombreuses années passées à travailler comme scénariste, puis comme producteur pour les studios d’Hollywood, Albert Lewin se lance dans la réalisation à l’âge de 48 ans, avec The Moon of Six Pence (1942). Érudit, épris d’art et de littérature, grand collectionneur, Albert Lewin s’attachera, au long des six films qui composeront sa filmographie, à l’exploration de ses passions littéraires et artistiques, ciselant un univers singulier qui lui confère une place à part dans l’histoire du cinéma américain. Pandora est le quatrième film du réalisateur. Le scénario original, signé par Albert Lewin lui-même, procède de la conjonction du deux mythes : le mythe grec de Pandore envoyée sur terre pour venger Zeus de Prométhée et faire le malheur des hommes ; et celui du Hollandais volant, condamné à errer sur les mers, frappé d’une immortalité maudite dont seul l’amour d’une femme prête à mourir pour lui pourra le délivrer. Pour ce second versant de l’histoire, Lewin s’est largement inspiré des écrits d’Heinrich Heine et de l’interprétation que Richard Wagner a faite du mythe avec Le Vaisseau fantôme.
Au cœur des années 1930, dans un petit port de la Costa Brava nommé Esperanza. La divine chanteuse Pandora Reynolds délaisse pour quelques temps son public américain et passe des vacances en Espagne, auprès de quelques amis de circonstance, microcosme d’Anglo-Saxons en villégiature dont elle devient bientôt le pôle d’attraction. Les hommes se jettent à ses pieds, scellant du même coup leur malheur. Pandora, déesse froide et sarcastique, semble indifférente à ces élans d’un amour trop étriqué pour elle. Jusqu’au jour où elle aperçoit le bateau d’un mystérieux Hollandais… Marqué par une multiplicité d’influences esthétiques, l’univers visuel de Pandora appose à la complexité de la trame narrative une profusion de références, symboles et correspondances. Le film fut souvent, à tort, associé au genre du mélodrame. Sublimé par un technicolor époustouflant et par les images somptueuses de Jack Cardiff (le chef opérateur attitré de Michael Powell et Emeric Pressburger), Pandora serait plutôt une tragédie baroque, travaillée d’influences aussi diverses que le romantisme, l’expressionnisme et le surréalisme. Le film présente une exploration débridée de thématiques que Lewin avait déjà explorées, notamment avec Le Portrait de Dorian Gray : une fascination funeste pour la mort, pour l’ésotérisme et une certaine perversité, un rapport trouble au passage du temps, un tableau sans concession de la société décadente des années 1930.
Affleurant à chaque plan, l’étrange et le fantastique s’insinuent au cœur du réel, dans un récit qui évoque toute la littérature gothique du XIXe siècle. La mise en scène de Lewin travaille les profondeurs de champ et joue de compositions qui évoquent les peintres surréalistes (parmi lesquels Magritte, et surtout Man Ray, qui créa un échiquier pour le film et joua le temps du tournage les photographes de plateau). On songe notamment à la séquence de fête, l’une des plus virtuoses du film, où les noceurs enivrés s’adonnent à des danses endiablés, sur une plage étrangement jonchée de statues antiques. Marqué par une mise en scène d’une extrême sophistication, Pandora aurait pu rester, à l’image du personnage joué par Ava Gardner, un objet somptueux et vide de sentiments. Se signalant à chaque plan, l’artifice ne fait pourtant pas oublier les singularités d’un récit qui peu à peu laisse l’émotion investir le sublime assumé des corps et des décors, à l’image de Pandora se laissant gagner par l’amour. En cela, Lewin offre une très belle réinterprétation de la tragédie grecque, dont les personnages avancent vers une fin funeste et prédéterminée. Naissant véritablement au monde et aux sentiments avec la découverte de l’amour absolu, Pandora reconquiert d’une certaine manière son libre arbitre, et embrasse avec passion son funeste destin.
Les projections en entrée libre – dans la limite des places disponibles – se déroulent à Paris, dans le 2e arrondissement, près de la rue Montorgueil :
Salle Jean Dame, Centre sportif Jean Dame17 rue Léopold BellanMetro : Sentier (L3) ou Les Halles