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Mois : mars 2023

LA TRAVERSÉE

Un village pillé, une famille en fuite et deux enfants perdus sur les routes de l’exil…

Kyona et Adriel tentent d’échapper à ceux qui les traquent pour rejoindre un pays au régime plus clément. Au cours d’un voyage initiatique qui les mènera de l’enfance à l’adolescence, ils traverseront de multiples épreuves, à la fois fantastiques et bien réelles pour atteindre leur destination.

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Dossier de presse

Le temps indéfini de la légende

Note d’intention de Florence Miailhe

Le propos de La Traversée est né de la rencontre entre deux émotions : la mémoire familiale – mes arrière-grands-parents fuyant Odessa au début du XXe siècle, ma mère et son jeune frère sur les routes de France gagnant la zone libre en 1940 – et la spectaculaire augmentation des déplacements humains au cours des dernières décennies. J’ai vu se refléter dans le parcours des familles kurdes, syriennes, soudanaises, afghanes, celui de ma propre famille juive. Des gens poussés par la guerre, la faim, les persécutions, cherchant une meilleure terre où reconstruire leur existence et prêts pour cela à affronter tous les périls. Si le film s’ancre dans les réalités migratoires contemporaines, le sujet est traité de façon intemporelle – afin de montrer la permanence de l’histoire des migrations – en s’inspirant de la narration des mythes et des contes. La décision de suivre deux héros au sortir de l’enfance a été prise avec ma co-scénariste, la romancière Marie Desplechin, dont les livres s’adressent en priorité à la jeunesse. Nous avons abordé le récit dans cette optique : nos deux héros, sœur et frère, Kyona et Adriel, portent aussi bien la figure de Hansel et Gretel que celle de deux jeunes « mineurs isolés ». C’est dans cette double approche, dont la pertinence s’est confirmée au fil de l’écriture, que nous avons construit la narration. Le film est découpé en autant de « chapitres » qui correspondent chacun à un domaine du conte et simultanément à une situation actuelle des chemins d’exil. Ainsi, les enfants des rues sont évoqués comme des « frères corbeaux » ou des petits poucets abandonnés par leurs parents, la vieille femme qui recueille Kyona dans la forêt comme une Baba Yaga, le couple des acheteurs d’enfants comme des ogres… Pariant sur le pouvoir de la fiction à rendre compte au mieux du réel, nous utilisons ses codes. L’histoire est située sur une carte imaginaire, rappelant peu ou prou les contours de l’Europe. Les peuples qui l’habitent nous sont étrangement familiers. Rien ne permet d’attribuer une époque donnée à l’histoire, qui pourrait se dérouler au siècle dernier comme aujourd’hui ou demain. Nous sommes dans le temps indéfini de la légende. Cette approche a fait que nous nous adressons à un public commun d’enfants et d’adultes, comme le font les mythes, qui offrent à chaque âge des images nécessaires pour se représenter et apprivoiser l’expérience du monde. L’action, du départ à l’arrivée, se déroule sur quatre saisons, que distinguent les atmosphères et les couleurs. Ce cycle contient une double traversée, les deux héros quittant à la fois leur pays et l’enfance. Sur le chemin, les héros apprennent à résister, à se battre, à perdre et à aimer. Ils deviennent progressivement eux-mêmes. Leur caractère évolue, comme leur corps et leur visage. Leur épopée prend un caractère initiatique et leur voyage s’offre comme la métaphore du passage vers l’âge adulte. Le récit est porté par la voix de Kyona âgée, qui relate le souvenir de sa « traversée », à partir d’un carnet de croquis qu’elle dessine tout au long de son périple. Cette mémoire restituée se présente ainsi comme un acte de transmission. Le carnet a été reconstitué à partir de dessins de ma mère, Mireille Glodek Miailhe. Entre 15 et 18 ans autour de la deuxième guerre mondiale, elle représente sa famille, son frère, des scènes de la vie quotidienne. C’est à partir de ses dessins que nous avons défini les personnages et certains décors. Inversement, des dessins de ma mère ont été modifiés pour correspondre aux personnages. Ainsi une troublante réalité se crée, faite d’allers-retours entre les croquis d’époque et l’univers du film. Le travail sur les décors et les situations a été précédé d’une documentation importante sur les parcours des réfugiés, les dangers encourus et les camps de rétention. Photos, reportages, récits fondent la part de réalité contemporaine du film. On le constate particulièrement dans les séquences consacrées au refuge des enfants des rues, au cirque nomade et aux prostituées et dans celles qui portent sur le camp de rétention de Shalangar. Le film joue ainsi constamment entre l’imaginaire et le documentaire, le quotidien et l’onirique. L’animation en peinture, avec ce qu’elle offre d’émotion esthétique et de mise à distance y contribue.

Peinture animée

Ma technique de peinture animée est un peu comme un numéro d’équilibriste sans filet. Je peins directement sous la caméra avec tout ce que cela implique de risques, d’intuitions, de hasards et d’exigences. Le processus est apparemment simple. Une caméra au dessus d’une table, un premier dessin est photographié puis modifié légèrement sur la même surface et au fur et à mesure des changements, on prend des images. Il y a peu de possibilités de retours en arrière. Je dessine le mouvement par transformations successives, touche après touche, créant une matière qui agit, vibre, produit ses propres intensités, ses propres couleurs. Je profite des accidents qu’elle m’offre, je me laisse guider par elle. Le détail des mouvements s’improvise au gré de mes intuitions, des idées qui surgissent… Je me suis toujours donné la liberté d’hésiter, de traîner, de gâcher parfois… Il n’y a rien de moins industriel que cette technique d’animation. Il est quasiment impossible de rationaliser le travail, d’espérer que l’on pourra faire tant de secondes par jour, tant de décors, tant de reprises en compositing. Au cinéma, il faut 24 images par seconde pour donner l’illusion du mouvement ou pour économiser un peu de travail , 12 dessins que l’on prend deux fois. On peut faire le calcul du nombre d’images qu’il faut faire pour 1 heure 20 de film. Jusqu’à présent, je travaillais seule ou presque. Mais pour un long métrage, il fallait une équipe. Comment faire passer aux décoratrices, aux animateurs et animatrices, cette technique qui est la traduction d’un travail personnel ? Nous avons commencé par réaliser plus de 500 décors avec dix décoratrices. Quatorze animatrices et un animateur ont travaillé sous ma direction. Il fallait garder la cohérence de l’ensemble, tout en donnant à chacun-chacune la possibilité d’exprimer son talent propre. Cela a été l’un des enjeux principaux du film. La réalisation a duré trois ans. Quatorze bancs-titres ont été construits dans trois studios et trois pays : la France, la République tchèque, l’Allemagne. Et petit à petit, seconde par seconde, plan par plan, j’ai vu le film naître.

Les voix et la musique

J’ai accordé beaucoup de temps au choix des voix et en particulier celles des enfants, souhaitant des acteurs qui aient l’âge des rôles. Les voix ont été enregistrées très en amont afin que les animatrices-teurs puissent se caler sur le rythme et le phrasé des comédiens. J’ai travaillé dans une grande proximité avec le compositeur de la musique, Philippe Kumpel. Pendant les trois ans du temps de la production, il a proposé des musiques parmi lesquelles , avec la monteuse Nassim Gordji Terhani, nous avons choisi celles qui accompagnent le récit de bout en bout, tenant un équilibre subtil entre son rôle narratif et la couleur qu’elle apporte au récit. Du début à la fin, la pie qui traverse le film – compagne « magique » de l’héroïne – est accompagnée d’un thème propre, aux accents enfantins et réconfortants.

Les personnages

Le couple sœur-frère porte le récit. Leur relation va évoluer tout au long de leur voyage et des épreuves. Ils grandissent, changent et révèlent leur personnalité. Aux deux tiers du film, leur relation basculera et c’est Adriel qui soutiendra sa soeur à la fin de leur épopée. La famille et les parents étant perdus assez rapidement, c’est une famille de cœur qui les remplace. Cette nouvelle famille d’alliés et d’amis se constitue au fil des rencontres. Parmi eux, la Babayaga de la forêt, Erdewan, Shaké, Issawa et des personnages attachants mais ambivalents, dont le charme tient à leur ambiguïté même, Iskender ou Madame.

KYONA, âgée de treize ans, vit dans un village pauvre à l’est du continent avec sa famille. Volontaire, téméraire, combattive, elle a trouvé son refuge et son expression dans le dessin. Elle ne se sépare jamais du carnet de croquis qui l’accompagne dans tout son périple et représente visuellement sa mémoire. C’est à travers son récit en voix-off que l’histoire nous est racontée. En tant qu’ainée, elle endosse la responsabilité de conduire son frère jusqu’au terme du voyage.

ADRIEL, âgé de douze ans, est le frère de Kyona. Sensible, facilement effarouché, il est également imprévisible et susceptible d’actes de bravoure irréfléchis. Adriel est au cœur du récit sans en être l’acteur principal. Alternativement moteur e t frein, il est la préoccupation incessante de Kyona dont la mission est de le conduire au delà de la frontière. Éprouvé par les aléas du voyage et les terreurs de la séparation d’avec sa famille, le jeune garçon va grandir douloureusement.

LES PARENTS, dépassés par les événements, décident de fuir leur village, Novi Varna, détruit par des miliciens, pour rejoindre un cousin qui habite dans un pays libre, à l’autre bout du continent. La famille sera vite séparée suite à un contrôle de police.

ISKENDER, chef d’un gang d’enfants des rues, est le premier étranger que les héros rencontrent sur leur trajet. À la fois petit dictateur et protecteur de sa bande, cet adolescent appartient à un peuple chassé des montagnes par les conflits. Il porte sur le visage les tatouages des Skanderbergs. Emporté dans la tourmente des migrations, il a appris à se débrouiller et à tirer seul son épingle du jeu. Iskender est une figure de la séduction et de l’ambiguïté.

JON est une représentation du mal ordinaire, trafiquant de la plus misérable espèce, receleur, vendeur de tout ce qui se vend, ferraille, enfants, renseignements… Personnage sans principe ni foi, Jon est partout, de plus en plus dangereux, de plus en plus menaçant.

LES DELLA CHIUSA sont un couple de bourgeois qui habite une demeure cossue au milieu d’un jardin. Il ne leur manque rien si ce n’est des enfants. Jon leur vend Kyona et Adriel. Étrange marché qui exige des enfants qu’ils oublient tout de leur passé et se plient aux caprices de leurs nouveaux « parents ». En échange, le gîte, le couvert, le luxe et une apparence d’amour qui confine à la folie. Florabelle, aiguë, apprêtée, enfantine, et Maxime, inquiétant et adipeux, sont les figures terrifiantes des ogres qui capturent les enfants.

MADAME, imposante et autoritaire, conduit de main de maître la caravane de son cirque. Elle mène la troupe d’artistes – dont la plupart sont des migrants – jusqu’aux frontières, qu’ils rêvent de traverser. La nuit, après la représentation sous le chapiteau, ses danseuses vendent leurs charmes à l’abri des roulottes. Avec elle, c’est donnant-donnant. Cette femme au passé trouble et que son présent de maquerelle protège de la curiosité policière recueille successivement Adriel puis Kyona.

ERDEWAN est un personnage solaire et attachant, immédiatement sympathique. Il appartient aux peuples du Nord dont il a la haute taille, les longs cheveux blonds et la peau très pâle. Rival d’Iskender, il tombera sous le charme de Kyona.

SHAKE se produit dans le cirque où Kyona et Adriel ont trouvé refuge. Elle y fait un numéro de funambule. Amicale, rassurante, moqueuse à l’occasion, elle se lie d’amitié avec les deux héros.

BABAYAGA pourrait être une sorcière, mais ce n’est qu’une vieille dame, blessée par la vie et qui s’est réfugiée dans le silence. Elle aussi porte les tatouages des Skanderbergs. Elle parle peu. Elle ouvrira sa porte, puis son cœur à Kyona.

ISSAWA, petit garçon de sept ou huit ans, apparaît dans la dernière partie du film, dans le camp d’internement dont il est l’un des prisonniers. Orphelin, il a la gouaille désarmante d’un Gavroche aguerri.

TROIS VISAGES

La comédienne Behnaz Jafari a reçu sur son portable une vidéo très alarmante de la part de Marziyeh, une jeune fille qu’elle ne connaît pas. Cette dernière lui explique avoir été acceptée au concours d’entrée du conservatoire de Téhéran, mais, sa famille refusant de la laisser mener une vie de saltimbanque, elle a sombré dans un profond désespoir. Craignant que l’inconnue n’ait mis fin à ses jours, comme le laisse présager la fin brutale de son message, Behnaz prend la route avec son ami le réalisateur Jafar Panahi pour le village isolé des montagnes azerbaïdjanaises où vit l’adolescente…

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Dossier de presse

NOTES DE RÉALISATION

LES ORIGINES DU PROJET

Le film est né d’une situation qui, sans être nouvelle, a littéralement explosé avec l’avènement des réseaux sociaux – extrêmement utilisés en Iran : la quête éperdue de contact, en particulier avec des personnalités du cinéma. Jafar Panahi, malgré sa situation officielle de réalisateur proscrit dans son propre pays est l’un des destinataires les plus sollicités par ces propositions – notamment de jeunes gens qui veulent faire des films. Et comme la plupart de ceux qui reçoivent de nombreux messages de la part de leurs fans sur les réseaux sociaux, il n’y répond que rarement, mais cela lui est déjà arrivé de ressentir une sincérité, une intensité qui l’ont poussé à se questionner sur la vie de celles et ceux qui envoient ces messages. Un jour, il a reçu sur Instagram un message qui lui paraissait plus sérieux, et au même moment les journaux ont parlé d’une jeune fille qui s’était suicidée parce qu’on lui avait interdit de faire du cinéma. Il a imaginé alors recevoir sur Instagram une vidéo de ce suicide, et s’est demandé comment il réagirait face à cela.

UNE ROUTE ÉTROITE ET SINUEUSE

Cette idée a croisé l’envie de revenir sur l’histoire du cinéma iranien, et ce qui avait entravé ses artistes, par différentes manières, à différentes périodes. D’où l’idée d’évoquer trois générations, celles du passé, du présent et du futur, par l’intermédiaire de trois personnages d’actrices. En composant ces trois récits est née l’image de cette route étroite et sinueuse, qui est une représentation concrète de toutes ces limitations qui empêchent les gens de vivre et d’évoluer.

LE TOURNAGE

Comme toujours, Jafar Panahi a entièrement écrit le scénario dans les moindre détails – même si en tournant il a fait quelques modifications en fonction de la situation. Une situation qui s’est révélée très accueillante au projet, pour un cinéaste retrouvant l’air libre après des films confinés dans des intérieurs – appartement, maison, voiture. En effet, le tournage a eu lieu dans trois villages, respectivement les villages natals de sa mère, de son père et de ses grands-parents, dans un environnement familier et protecteur qui aura beaucoup facilité ses choix de mise en scène. En utilisant une caméra très sensible, envoyée par sa fille qui habite en France, il a pu travailler y compris de nuit en extérieur sans avoir besoin d’un matériel lourd.

Ces villages se trouvent au Nord-Ouest du pays, dans la partie azérie de l’Iran, où les gens à la campagne sont particulièrement attachés aux traditions, avec des aspects encore très archaïques. Les comportements des habitants dans le film sont conformes à ce qui se passe dans cette région. La route sinueuse que l’on voit à l’écran existe toujours, bien qu’aujourd’hui les voitures empruntent désormais une autre route, plus large et asphaltée.

BEHNAZ JAFARI

Au début, Jafar Panahi avait prévu que le couple qui arrive au village serait interprété par une autre actrice et son mari, qui est producteur. Finalement cette actrice n’a pas pu faire le film, il a alors proposé le rôle principal à Behnaz Jafari, qui est une comédienne célèbre en Iran. Elle a joué dans de nombreux films, Le Tableau noir de Samira Makhmalbaf (2000), ainsi que dans des séries télévisées très populaires. D’ailleurs, l’épisode qu’on voit dans le film passait vraiment à la télévision quand la scène a été tournée. Avec elle, Panahi a décidé de prendre le volant, pour tirer partie de sa connaissance de la langue turque azérie qu’il connaît bien, et qui facilite les relations avec les villageois, et avec la jeune fille qui a envoyé le message, relations qui sont un des enjeux du film. Connue aussi pour être une forte personnalité, Behnaz Jafari a tenu à s’engager entièrement au service du projet, et a refusé d’être payée.

SHAHRZAD & MARZIYEH REZAEI

Si le deuxième personnage féminin majeur du film, la jeune fille, est joué par quelqu’un que le réalisateur a rencontré par hasard dans la rue, aussitôt convaincu que la jeune Marziyeh Rezaei était faite pour ce rôle, la troisième grande figure est une star historique du cinéma iranien, Shahrzad (de son vrai nom, Kobra Saeedi). Le film insiste sur la façon dont les actrices ont toujours été considérées avec mépris, et perçues comme des filles de mauvaise vie, avant comme après la révolution islamique. Un des objectifs de Panahi est de souligner combien elles étaient, et sont au contraire de véritables artistes. C’est exemplairement le cas de Shahrzad, vedette du cinéma populaire de l’époque prérévolutionnaire, actrice très talentueuse même si souvent utilisée en mettant en avant ses attraits physiques dans des numéros chantés et dansés. Elle est aussi poète et auteure d’une œuvre importante. Comme toutes les stars de cette période, Shahrzad est interdite de tournage depuis la révolution. Si elle ne joue pas dans le film, son personnage est soit en ombre chinoise soit de dos pour bien marquer son absence, ce n’est pas pour respecter cet interdit mais par désir de la faire exister comme absence – ce qu’indique d’ailleurs le poème cité à la fin du film. En Iran, tout le monde la connaît, y compris dans les jeunes générations. Parmi ses apparitions les plus célèbres, très nombreux sont ceux qui se souviennent de sa présence dans Qeysar, grand film noir de Massoud Kimiai (1969) où elle interprète un numéro d’une sensualité comparable à celui de Rita Hayworth dans Gilda.

PRÉSENT PAR SON ABSENCE

Une fois le film tourné, Panahi est allé à Ispahan où vit Shahrzad, il lui a demandé l’autorisation d’utiliser son nom. Elle a non seulement accepté mais elle a enregistré son poème, c’est sa voix qu’on entend dans le film. De même l’acteur qu’on voit sur l’affiche, Behruz Vossoughi dans le rôle titre de Tangsir d’Amir Naderi, était immensément populaire, et l’est resté même s’il s’est exilé aux Etats-Unis après la révolution. Et Tangsir, dans un style de western contemporain, est un récit de révolte contre les corrompus, y compris religieux, dont le héros continue d’incarner un esprit auquel les Iraniens se réfèrent volontiers.

LE POUVOIR MASCULIN

Vossoughi a été l’une des incarnations les plus célébrées d’une forme héroïsée du pouvoir masculin dans des films au machisme revendiqué, caractéristique du cinéma populaire d’avant la révolution – depuis celle-ci, les formes de domination masculine ont changé, sans qu’elles disparaissent pour autant, y compris à l’écran. Trois visages évoque de manière critique cet héritage en mettant au centre de son récit des personnages féminins, mais aussi par exemple autour de cette question, très présente dans les parties les plus traditionnelles de la société, de la fétichisation du prépuce. La sacralisation de ce petit morceau de peau, aussi bien que les questions liées à la puissance reproductrice du taureau, participent de ce thème majeur du film.

UN CHANGEMENT D’ATTITUDE

Contrairement à ce qui s’était produit pour Taxi Téhéran, où le nom des collaborateurs ne figuraient pas au générique, cette fois tous s’y trouvent, preuve d’un changement d’état d’esprit en Iran : lors du précédent film, certains techniciens avaient peur des conséquences si leur nom apparaissait, cette fois, tout le monde a insisté pour être présent au générique. Comme on l’a vu aussi lors des manifestations fin 2017, il y a désormais en Iran des gestes de protestations beaucoup plus virulents que par le passé. Cela s’est aussi traduit par la mobilisation de l’ensemble des professionnels du cinéma en faveur de Jafar Panahi : toutes les associations professionnelles du cinéma (réalisateurs, producteurs, distributeurs, techniciens, etc.) ont écrit au président de la République pour lui demander de l’autoriser à aller à Cannes. Mais lui, tout en saluant ce geste de ses confrères, insiste surtout sur le fait qu’on l’autorise désormais à filmer comme il l’entend dans son pays, et à montrer ses films. Panahi a également fait savoir qu’il demande que les autres réalisateurs maltraités soient laissés en paix, avec la possibilité de voyager et de tourner – à commencer par Mohammad Rassoulof, qui avait été arrêté en même temps que lui en 2009, et qui fait à nouveau l’objet de pressions administratives, les autorités lui ayant retiré son passeport après qu’il ait présenté son dernier film à l’étranger.